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Le guide STOMP : outils et pratiques numériques durables pour la musique

En février 2023, The Green Room, en coopération avec Pikselkraft lançait le projet STOMP- Sustainable Tools for Online Music Practices consacré aux enjeux du numérique responsable appliqués au secteur musical.

Cette initiative a pour but d'examiner les usages et les outils à l’œuvre dans notre secteur, d'évaluer les besoins des musicien·nes en la matière, et de proposer un état des lieux des connaissances, pratiques, et initiatives.

Ce guide, fruit d’une première étape de travail de 10 mois, s’articule autour d’un état de l’art, d’une partie guide et « bonnes pratiques » et de quatre contributions d’auteur·ices et de chercheur·ses commissionnées qui livrent leur analyse de la situation et leur vision prospective. Le temps resserré durant lequel ce projet s’est réalisé ne lui permet pas d’être exhaustif. Il a vocation à ouvrir une conversation dans l’écosystème musical à la plus grande échelle possible. À la fois recherche, plaidoyer et boîte à outils, cette publication a été co-conçue par les équipes de The Green Room et de Pikselkraft dans le respect des principes d’éco-conception.

Ce projet a été rendu possible grâce au soutien de :

  • Coordination générale : Gwendolenn Sharp
  • Chercheur·ses : Lucie Bouchet, Derek Salmon
  • Appui marketing : David Hopkins
  • Assistante : Marwa Khelif
  • Support éditorial : Cécile Pavec
  • Conception graphique et mise en page : Marine Domec
  • Logo : McCloud Zicmuse
  • Acronyme : Yann Tambour
  • Traduction : David McKenna
  • Révision : Agnès Carpentier
  • Auteur·ices et chercheur·ses commissionné·es : Bela Loto Hiffler, Bas Grasmayer, Camille Pène, Matt Brennan

Pour citer ce guide : STOMP – Sustainable Tools for Online Music Practices, Un Guide pratique pour les musicien·nes, The Green Room, 2023.

A new, a vast, and a powerful language is developed for the future use of analysis, in which to wield its truths so that these may become of more speedy and accurate practical application for the purposes of mankind than the means hitherto in our possession have rendered possible. Ada Lovelace

Avant-propos

La période de recherche et de compilation de ce guide s'est échelonnée entre février et octobre 2023. Une trentaine de professionnel·les ont contribué à ce projet dans le cadre d'entretiens semi-directifs. Bien que toutes les personnes rencontrées ne se trouvent pas nommément citées au fil des pages de ce document, celui-ci repose sur l'intégralité de leurs réflexions et analyses. Nous les remercions toutes chaleureusement de nous avoir accordé leur temps et confié leurs idées. Il est à noter que plusieurs organisations et sociétés, parmi lesquelles les services de streaming, n'ont pas donné suite à nos sollicitations.


La liste des personnes interviewées est disponible en annexe.

Pour citer ce guide : STOMP -- Sustainable Tools for Online Music Practices, Un Guide pratique pour les musicien·nes, The Green Room, 2023.

Ce guide est publié sous licence Creative Commons d'Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Partage dans les mêmes Conditions 4.0 International (CC BY-NC-SA 4.0 Code Juridique). Pour de plus amples renseignements, veuillez écrire à l'adresse suivante : stomp@thegreenroom.fr

Les liens mentionnés dans ce guide le sont à titre d'information et ne constituent nullement des liens d'affiliation.

STOMP est un projet co-financé par l'Union européenne. Les points de vue et opinions exprimés n'engagent que leurs auteur·rices et ne reflètent pas nécessairement ceux de l'Union européenne, qui ne peut donc en être tenue pour responsable.


Introduction

Responsable de 3 à 4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) selon diverses études récentes1, le numérique représente une source d'impact environnemental autant qu'un outil désormais indispensable au fonctionnement de l'ensemble de l'écosystème musical et de sa chaîne de valeur créative, mais aussi de sa promotion et de l'inclusion des publics. Tandis que le spectacle vivant a commencé à adopter des pratiques vertueuses et multiplie les démarches et projets pour mesurer et parfaire sa trajectoire d'atténuation et d'adaptation au changement climatique, l'impact environnemental des activités numériques musicales est trop rarement abordé. Les acteur·rices de la filière musicale sont par ailleurs aujourd'hui pris·es dans des injonctions contradictoires, entre incitation à l'accélération numérique et nécessité de prendre part à la transition écologique.

Si vous vivez en Islande, vous ne pouvez pas faire une tournée sans quitter l'île. Je connais donc beaucoup de gens qui se disent que ça va être difficile pour eux d'être éco-responsables quand ils doivent commencer par prendre l'avion. Anne Dungal, équipe événementielle pour Iceland Airwaves et Sena Live, fondatrice d'OK Agency

Les démarches professionnelles pour mesurer l'impact environnemental de l'écosystème numérique musical sont rares, et les recherches académiques dédiées à ce sujet se comptent à ce jour sur les doigts d'une main. Elles seront mobilisées tout au long de ce document. Ce projet intervient alors que les organisations professionnelles et les plateformes de streaming européennes luttent contre la multiplication des fausses écoutes2 - qui représenteraient déjà de 1 à 3 % des écoutes en France3 - et que Spotify se trouve contraint de purger ses bases des chansons composées par des intelligences artificielles (IA). Il est ironique de constater que ces morceaux écrits par des robots étaient majoritairement « écoutés » par... des robots4. Ces écoutes, qui n'ont bénéficié à personne, représentent un véritable impact sur l'environnement, dont on ne sait actuellement pas mesurer l'ampleur.

Perspective européenne

Le Green Deal européen, ensemble d'initiatives politiques traçant la voie vers la neutralité climatique du continent d'ici à 2050, souligne la nécessité d'une approche holistique et intersectorielle selon laquelle tous les domaines contribuent à cet objectif ultime. Dans ce cadre, il reconnaît le rôle essentiel de la transformation numérique pour parvenir à un monde économe en ressources, neutre en carbone et résilient. Une des priorités de la Commission pour la période 2019-2024 est par ailleurs une Europe adaptée à l'ère numérique. Mais, lorsque l'on regarde du côté des fonds d'investissement et des financements, ceux-ci sont plus volontiers fléchés vers l'innovation numérique que vers son « verdissement », et, dans le secteur culturel, peu de propositions incitent à harmoniser les enjeux liés au numérique et à ses impacts environnementaux. On observe même de nombreuses contradictions, voire des injonctions contradictoires au sein des financements publics du secteur offerts par les différents programmes européens et par ceux proposés par les États. Cela a particulièrement été le cas lors des différents plans de relance mis en place suite à la crise sanitaire du Covid-19.

En avril 2022, le rapport One Voice for European Music -- Une voix unique pour la musique européenne5 soulignait le levier que représente le numérique pour contribuer à la durabilité de la filière musicale européenne « notamment en termes d'inclusivité, de diversité, de transition écologique et de lutte contre le changement climatique », tout en mettant en avant ses impacts négatifs, insistant sur le fait que les pratiques numériques sont « actuellement le principal facteur de hausse des émissions de gaz à effet de serre du secteur ». Le rapport recommandait une meilleure sensibilisation des acteur·rices à ces enjeux, une mise en lumière des différentes initiatives existantes à l'échelle européenne et le développement d'outils et de dispositifs adaptés au secteur pour renforcer sa capacité à « investir dans des modèles de création, de distribution et de monétisation innovants et durables, conformément à l'ambition de l'UE de devenir le champion numérique de demain. »

Le rapport Voices of Culture - Culture & Creative Sectors &Industries driving Green Transitionand facing the Energy Crisis Brainstorming Report6 de septembre 2023 en appelle quant à lui, dans une partie consacrée à la numérisation et à la virtualisation, à une plus grande transparence des acteurs du numérique et à une réflexion du secteur des industries culturelles et créatives sur ses besoins quantitatifs et qualitatifs en termes de contenus numériques.

Il est intéressant de noter que les liens entre numérique et impacts environnementaux et les recommandations qui en découlent viennent de l'implication des acteur·rices du secteur réunis lors de groupes de travail dédiés. A l'inverse, à l'échelle de la Commission, le rapport Greening the Creative Europe Programme 7datant de décembre 2022 omet quasi totalement la question des impacts du numérique et ne formule pas de recommandations spécifiques.

Dans les faits, les implications environnementales et les coûts écologiques semblent être encore un impensé des acteurs du numérique à l'œuvre dans la filière musicale en Europe, où l'approche « sky is the limit » semble être plus la norme que la sobriété numérique ou le renoncement à certaines pratiques.

Pourtant, le Yearbook 2022 de la mobilité culturelle du réseau On the Move consacré à la mobilité numérique montrait que si "en ligne" était un pays, il aurait été la plus grande destination de mobilité en 2021.8 Cette situation conjoncturelle liée à la crise sanitaire a cependant donné lieu à des pratiques qui perdurent, qu'elles soient hybrides ou en ligne, notamment lorsqu'elles conduisent à des méthodes de travail plus écologiques.

C'est dans ce contexte qu'a été lancé début 2022 l'appel à projets MusicAIRE, soutenu par le programme Europe Créative, visant à aider le secteur européen de la musique à relever les défis posés par la pandémie tout en favorisant la durabilité de l'écosystème à travers une relance « verte, numérique, juste et résiliente ». Si l'appel permettait de ne répondre qu'à un seul de ces objectifs de relance, nous avons développé le projet STOMP en profitant de cette opportunité pour traiter simultanément les enjeux environnementaux et sociétaux des pratiques et usages numériques du secteur de la musique, en nous adressant aux premier·res concerné·es : les musicien·nes.

Le projet

Avec STOMP, nous souhaitons en effet attirer l'attention de la communauté professionnelle et universitaire internationale sur l'impact environnemental des usages et pratiques du numérique du secteur de la musique. Le projet vise aussi à interroger le rôle que les artistes souhaitent, peuvent, ou doivent tenir dans les démarches de réduction de l'impact environnemental de la musique, afin de contribuer à un changement systémique.

Nous proposons ici un panorama des enjeux, de la recherche académique et des démarches professionnelles en cours pour combler cet angle mort qu'est devenu le numérique dans la transition du secteur musical. Nous y recensons également les pistes et outils concrets, ainsi que des préconisations à tous les échelons de l'écosystème musical pour intégrer le numérique dans sa trajectoire de réduction d'impact. Le guide s'attache tout particulièrement à aider les musicien·nes qui souhaitent mettre en œuvre une stratégie numérique responsable et durable en leur proposant un ensemble de connaissances, d'outils, lorsqu'ils existent, et de techniques visant à réduire l'empreinte environnementale des usages et technologies numériques.

Le projet a été nourri par les réponses d'une soixantaine d'artistes à un questionnaire proposé en anglais et en français interrogeant leurs pratiques professionnelles numériques, diffusé entre le 4 avril et le 16 juillet 2023. Il a été enrichi par les réponses d'une trentaine de personnalités européennes issues de l'ensemble du milieu musical - des artistes aux organisations professionnelles en passant par des labels, des managers et des fournisseurs de services numériques - que nous avons rencontrées dans le cadre d'entretiens semi-directifs. Ces entretiens en français ou en anglais se sont tenus en présentiel ou en visioconférence entre le 9 mars et le 9 août 2023.

Le présent document s'articule autour d'un état de l'art, d'une partie « guide et bonnes pratiques » et de quatre contributions d'auteur·ices et de chercheur·ses commissionnées qui livrent leur analyse de la situation. Le temps resserré durant lequel ce projet s'est réalisé ne lui permet pas d'être exhaustif. Il a vocation à ouvrir une conversation dans l'écosystème musical à la plus grande échelle possible. À la fois recherche, plaidoyer et guide pratique, ce document a été co-conçu par les équipes de The Green Room et de Pikselkraft dans le respect des principes d'éco-conception :

The Green Room

Face à l'urgence climatique et aux crises environnementales, l'association The Green Room travaille depuis 2016 avec les musicien·nes, technicien·nes et professionnel·les du secteur de la musique et de la culture autour des enjeux de mobilité et de pratiques durables, et réalise des évaluations, des actions de sensibilisation, des formations et des études opérationnelles sur les questions de transitions écologiques du secteur.

The Green Room accompagne des salles, des collectivités, des réseaux (régionaux, nationaux, européens et internationaux) et est associée ou mène différents projets de coopération européenne. L'association intervient également régulièrement lors de salons, de rencontres de réseaux, de conférences et au sein d'événements professionnels en France et à l'international sur la thématique « changement environnemental et sociétal dans le secteur de la musique ».

Pikselkraft

En réponse à l'exclusion et à la pollution numérique, Pikselkraft s'est spécialisé en éco-conception web et numérique convivial. Avec la volonté de développer un numérique plus soutenable, Pikselkraft réalise des audits de sites Internet, anime des formations et développe des sites éco-conçus, dans le but d'imaginer des futurs numériques souhaitables.

Équipe

  • Coordination générale : Gwendolenn Sharp

  • Chercheur·ses : Lucie Bouchet, Derek Salmon

  • Appui marketing : David Hopkins

  • Assistante : Marwa Khelif

  • Support éditorial : Cécile Pavec

  • Conception graphique et mise en page : Marine Domec

  • Logo : McCloud Zicmuse

  • Acronyme : Yann Tambour

  • Traduction : David McKenna

  • Révision : Agnès Carpentier

  • Auteur·rices et chercheur·ses commissionné·es : Bela Loto Hiffler, Bas Grasmayer, Camille Pène, Matt Brennan

Ce guide a été éco-conçu et une attention particulière a été apportée à son accessibilité numérique.

Pour plus d'informations sur la partie éco-conception du site.

Comment lire ce guide pratique ?

Nous recommandons vivement de commencer par lire la partie État de l'art pour comprendre le contexte et la nécessité de ce guide pratique. La compréhension des enjeux du numérique et des problèmes de ce secteur sont le point de départ qui permet de fournir l'effort nécessaire pour changer nos habitudes. Ce guide réclame des changements dans nos usages numériques. En informatique, nous nous accoutumons rapidement à des usages (interface, raccourcis, logique spatiale), et ce, même s'il existe une meilleure solution car tout changement implique une réticence naturelle qui demande un effort d'adaptation. C'est pourquoi la partie Actions identifiées est organisée par ordre de facilité pour appliquer des habitudes vertueuses. Outre la mise en lumière d'actions visant à reconsidérer sa pratique, cette partie aura également pour but de créer des liens et de mettre en avant différentes initiatives et approches prospectives. De nombreux collectifs et associations sont en effet prêts à accompagner les usager·es dans ces changements. Une prise de conscience collective est nécessaire pour réussir la transition écologique. Ceci constitue d'ailleurs un élément particulièrement important dans le domaine des outils de communication. Il est également essentiel de rappeler que les gestes individuels ne sont pas suffisants, et que l'effort collectif et systémique est primordial pour atteindre un effet de masse et convaincre les institutions de soutenir ces évolutions pour un effet réel, bénéfique à tou·tes. La dernière partie intitulée Prospective dresse un premier bilan et propose des préconisations pouvant être reprises à différentes échelles du secteur. Quatre essais ponctuent le document et la réflexion, afin d'amener différentes perspectives sur l'état des lieux et dessiner ce à quoi pourrait ressembler l'avenir du numérique dans le secteur de la musique.

Partie 1 : État de l'art

Le numérique aujourd'hui

Le numérique occupe une place tellement importante dans notre société que la Commission européenne en a fait une priorité aux côtés de la transition écologique9. Mais le couplage transition écologique et numérique est-il réalisable ? Le numérique représente déjà 3.5 % des émissions de GES dans le monde. C'est surtout la prévision d'une croissance de 5 % par an de sa consommation électrique qui nous amène à douter de son rôle de « solution » dans la lutte contre la crise socio-environnementale 1011. Reste que les estimations et les ordres de grandeur de la consommation du numérique sont difficiles à quantifier, en grande partie à cause de sa structure complexe et sa multiplicité d'usages.

Pour autant, un aspect plus chiffrable est la matérialité du numérique. Souvent présenté comme dématérialisé, à l'image du fameux cloud (nuage), la réalité semble bien différente. En France, en 2022, l'ADEME et l'Arcep estiment que 20 millions de tonnes de déchets sont produits par an sur l'ensemble du cycle de vie des équipements électroniques12. Ces équipements sont issus d'un extractivisme toujours plus important qui impacte fortement la biodiversité, les sols, les nappes phréatiques13, à tel point qu'il est prédit que l'humanité va extraire autant de minerai sur les décennies à venir que pendant toute son histoire14. Il est important de noter que les appareils électroniques sont la première source de pollution du numérique15. La demande en métaux rares nécessaires au bon fonctionnement des appareils, et par extension au modèle de société que nous développons actuellement, est en constante augmentation alors que le recyclage reste très faible. Le besoin en métaux rares, nécessaires pour suivre le rythme de la croissance du numérique, risque ainsi de poser des problèmes face aux limites des stocks disponibles, mais aussi des tensions entre les secteurs en croissance qui ont besoin de ces matériaux (numérique, énergies renouvelables, voitures électriques, batteries). L'impact sur les humains est également souvent sous-estimé. À titre d'exemple, la transition des États-Unis vers les véhicules électriques pourrait nécessiter trois fois plus de lithium que ce qui est actuellement produit pour l'ensemble du marché mondial, entraînant des pénuries d'eau, des accaparements de terres autochtones et la destruction d'écosystèmes sur son territoire et à l'extérieur de ses frontières, aggravant les inégalités environnementales et sociales16. En 2025, le secteur des batteries (y compris celles de nos téléphones) devrait ainsi représenter plus de la moitié de la demande du marché mondial du lithium. Ces ressources sont au cœur des enjeux industriels et économiques ; ce qui accroît l'enjeu central du numérique pour la croissance économique des États.

Le rôle prédominant du numérique dans l'accélération de nos sociétés a changé nombre de nos habitudes. Était-il par exemple envisageable d'avoir une telle augmentation du tourisme sans l'essor des réservations en ligne ? L'une des promesses du numérique était de nous connecter sans pour autant avoir besoin de se déplacer, notamment dans un cadre professionnel. Pourtant, tout comme les vols touristiques, les vols professionnels n'ont fait qu'augmenter17. Toutes ces innovations ne font pas disparaître les anciennes habitudes. Il existe toujours des agences de voyages, certes en perte de vitesse, mais on remarque dorénavant une superposition des structures et usages18.

Dans ce contexte, nos logiciels requièrent toujours plus de puissance. L'informatique s'est construite sur la « loi » de Moore qui stipule que, pour le même prix, le nombre de transistors dans un microprocesseur double chaque année  ; ce qui se traduit par un gain de puissance, une miniaturisation et une réduction des prix. Pourtant, même si cette loi n'est plus en vigueur depuis 2015, le développement logiciel ne semble pas prendre en compte ce changement physique. Selon une étude de GreenIT19, le couple Windows 10 et Office 2019 nécessite 171 fois plus de mémoire vive (RAM) que Windows 98 et Office 97 n'en nécessitaient 20 ans plus tôt. Pourtant, nos usages restent identiques et cette surconsommation se fait parfois à leur détriment. Par exemple, Windows et Apple intègrent de plus en plus de collectes de données et de publicités dans leurs produits20. Ce phénomène, associé à d'autres pratiques, participe à la surconsommation via différents processus d'obsolescence programmée (technique, indirecte, psychologique21), dans une pure logique de croissance infinie :

Les programmes ralentissent plus vite que le matériel n'accélère Niklaus Wirth, Loi de Wirth

Il est d'ailleurs fondamental de faire le lien entre justice sociale et numérique souhaitable pour s'opposer à ce type de pratiques commerciales ; l'un ne fonctionnant pas sans l'autre, tout comme pour la lutte climatique. La numérisation de notre société entraîne une exclusion numérique toujours plus importante qui génère toujours plus de laissés-pour-compte face à un problème de plus en plus handicapant (accès aux services publics, sécurité, recherche d'emploi, etc.)22. Cette omniprésence du numérique a aussi d'autres effets sur nos sociétés et de nombreuses études montrent le rôle négatif du numérique sur les démocraties23, l'éducation et la santé24, sans omettre son influence géopolitique25.

Tous ces éléments montrent à quel point il est indispensable de ne pas négliger nos usages et leurs conséquences. S'ajoute à cela que ces usages nécessitent toujours plus d'appareils. Ce renouvellement est principalement dû à une logique commerciale du numérique qui pousse à un sur-usage, à une surconsommation et à l'obsolescence. Il ne s'agit pas nécessairement d'un choix individuel et nous sommes les premiers à subir le manque de durabilité des appareils. Ainsi, le renouvellement ou le changement d'un forfait mobile encourage souvent au rachat d'un nouveau smartphone.

Nous avons déjà produit un nombre considérable d'appareils électroniques. De plus en plus d'études dénoncent le numérique comme une source de gaspillage de matériaux, de ressources et de temps. Le numérique conserve cependant son image vertueuse auprès des décideurs, tel un outil facilitateur de la transition écologique. Peu d'efforts sont faits - que cela soit du côté des services publics ou des concepteurs - pour le rendre plus sobre, contrairement à ce que l'on peut observer dans d'autres secteurs (transport, construction). Le numérique est peu abordé par les discours de sobriété, voire de renoncement, à l'œuvre aujourd'hui. Nous constatons que nos usages se maintiennent (naviguer sur un site, écouter de la musique, regarder une vidéo, écrire, etc.), alors que la puissance requise pour ces mêmes usages ne cesse d'augmenter. Malgré ces constats alarmants, il semble que l'on puisse inverser cette tendance collectivement ; par exemple en conservant nos appareils plus longtemps. Si ce changement peut être initié à l'échelle individuelle, il est essentiel d'opérer un changement systémique et en termes de régulation, sur lequel nous reviendrons.

Cette dynamique de croissance incessante du numérique est propulsée par des entreprises monopolistiques - les GAFAM : Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft ; mais aussi Netflix, Spotify, AirBnb, Uber, etc. - qui en tirent profit. La concentration dans ce secteur a pour le moment un effet délétère sur la transition écologique du numérique, malgré des éléments de façade26. Il est difficile d'accorder la moindre crédibilité à ces géants du numérique, au vu notamment de nombreux scandales les concernant (déchets, vie privée, conditions de travail, optimisation fiscale, capitalisme de surveillance, etc.). Il se présente alors une opportunité d'imaginer et de mettre en place un numérique différent, qui se libère des usages forcés par des grands groupes et institutions. Techniquement, il semble que nous en ayons la possibilité. C'est ce que nous évoquerons dans ce guide.

Il ne faut cependant pas oublier le rôle prédominant des institutions, lesquelles ne luttent pas contre cette démesure. À l'heure actuelle, les États encouragent une marche forcée vers la numérisation de nos sociétés et de nos habitudes (éducation numérique, numérisation des services, télémédecine, etc.27-28). Ce choix se fait souvent au détriment du déploiement d'un numérique souhaitable, démocratique et humain. Nous ne choisissons pas notre futur numérique. La lutte contre l'obsolescence, le droit à la réparation, la protection de la vie privée, doivent être soutenus légalement pour être appliqués à grande échelle. Comme pour la lutte contre les crises climatiques, nos gestes individuels ne sont pas suffisants. Ce guide propose des solutions individuelles adressées spécifiquement aux besoins et usages des musicien·nes, toujours accompagnées d'actions collectives utiles à l'ensemble du secteur, afin d'atteindre un point de rupture nécessaire à un changement de paradigme qui passera par de la pédagogie et devra être soutenu par de la régulation.

Nous abordons également plus en détails les nouvelles technologies, notamment les NFT (Token Non Fongible), le métaverse et l'intelligence artificielle, qui présentent le même problème structurel que les précédentes innovations dans le numérique. Elles sont poussées par les mêmes individus et entreprises qui ont amené les transformations inégalitaires du numérique (GAFAM, monopole, exploitation, ubérisation). Il est nécessaire de comprendre les enjeux de ces technologies pour comprendre les risques et opportunités qu'elles représentent pour le secteur musical.

Depuis plusieurs années, le numérique est devenu une source de critiques et son déploiement est de plus en plus questionné. Des alternatives au numérique commercial sont proposées et développées. Différents termes existent pour décrire ce phénomène, parfois avec des rôles et objectifs différents : numérique responsable, éco-conception et sobriété numériques, Green IT, Tech for good, numérique souhaitable, convivialisme numérique, low-num, permacomputing et techno-critique. Ces mouvements s'inscrivent dans des cultures différentes et incarnent des réponses variées aux problématiques mentionnées ci-dessus. Il est important de noter que certains de ces mouvements ne sont pas exclus d'un rattrapage par l'éco-blanchiment (greenwashing), et qu'il est toujours nécessaire de questionner les nouvelles approches. Leurs élans sont primordiaux pour répondre à la problématique environnementale et affichent une prise de conscience du sujet sur laquelle nous avons appuyé nos recherches et nos recommandations.

Nous évoquerons plus souvent le numérique soutenable ou convivial que le numérique responsable. Découlant de nos recherches, ce parti pris est arrivé au cours de ce projet. Nous pensons que le terme numérique responsable est trop associé à la possibilité de verdir le numérique actuel sans remettre en question son modèle. L'aspect responsable évite actuellement toute remise en question politique et sociétale du numérique, ce qui est justement notre propos.

De quoi parle-t-on dans le secteur musical ?

Si un seul échelon dit que ce n'est pas sa responsabilité, on n'y arrivera pas. » Anne Le Gall, cofondatrice et déléguée générale du TMN Lab.

Les outils numériques, et nouvelles technologies en découlant, ont ouvert un champ des possibles considérable en termes de créativité, de découvrabilité, de distribution, de relation avec ses communautés de fans, et de création de valeur dans le secteur musical. On observe cependant un paradoxe dans le fait que ces nouveaux horizons ouverts à tous se sont rapidement confrontés aux logiques de concentration du monde musical physique qui s'y sont reproduites. S'il n'a jamais été aussi facile de s'adresser à une audience par le biais du numérique, il n'a jamais été aussi difficile de s'en faire écouter.

À l'image des autres secteurs économiques, la montée en puissance du numérique dans les stratégies de carrières et usages de l'écosystème musical ne s'est pas accompagnée de démarche systémique de mesure d'impact environnemental. Les données relatives à la consommation d'énergie ou à l'ampleur des émissions de GES produites par ces nouveaux services sont indisponibles ou très parcellaires, et ce, pour deux raisons. Le plus souvent, elles sont tout simplement inexistantes, du fait de l'absence de démarche de calcul par les acteurs de l'écosystème et leurs fournisseurs de services numériques (les Stations de Travail Audionumériques (STAN/DAW)29, les logiciels de billetterie, de marketing, de stockage et d'envoi de fichiers, les réseaux sociaux...). Mais, il arrive également que ces acteurs, lorsqu'ils mesurent leur impact, ne rendent pas pour autant ces données publiques, ou de manière inexploitable ou invérifiable, à l'instar de Spotify30 ou Universal Music Group31. Vincent Lostanlen, chargé de recherche au CNRS, affilié au Laboratoire des sciences du numérique de Nantes (LS2N) et chercheur invité au Music and Audio Research Laboratory de l'université de New York, en fait la démonstration dans son article consacré à l'écologie de la musique numérique32, qui constitue l'une des rares recherches académiques que nous ayons pu identifier sur le sujet :

« Ainsi, les émissions de GES déclarées par Spotify en 2021 comprennent 81 tonnes étiquetées "utilisation finale" et 46 tonnes étiquetées « cloud » (et encore, chose étonnante, 100 tonnes de marketing) sans que l'on sache très bien ce que recouvrent ces catégories. C'est pourquoi il faut rester critique face à une déclaration commerciale de Spotify comme « nous attribuons la hausse de nos émissions de GES à l'amélioration de notre méthodologie de calcul, la croissance de notre service à de nouveaux marchés, et (à) un plus grand nombre d'employés et d'utilisateurs mensuels33 ». Quand la comptabilité environnementale est menée avec aussi peu de précision, elle ne peut pas prétendre à un statut d'explication causale. »

La non-production ou l'absence de transparence dans la divulgation de ces données, à rebours des démarches initiées par les acteurs du spectacle et notamment des festivals,34, contribue à l'absence de visibilité sur l'ampleur de cet impact, et au maintien d'un statu quo délétère.

Apple tout comme probablement Google et Amazon ne veulent pas que vous leur parliez, parce qu'ils ne veulent pas que l'on parle de ce qu'ils font en dehors des communiqués de presse qu'ils publient \[\...\] le moyen le plus simple d'éviter une conversation est d'empêcher de trouver une personne avec qui parler ». Peter Quicke, ancien co-directeur général et maintenant président de Ninja Tune, cofondateur de Music Declares Emergency, cofondateur du Climate Action Group, membre du comité développement durable d'Impala

La collecte et la communication de ces données sont impératives pour permettre aux instances politiques et professionnelles de mettre en œuvre une trajectoire efficace de réduction sectorielle. Dans cette trajectoire, le poids du streaming musical audio et vidéo concentre toutes les attentions, et toutes les frustrations s'agissant de la transparence. Celle-ci est d'autant plus nécessaire qu'il s'agit ici d'une comptabilité nouvelle, dont les méthodologies sont émergentes et imparfaites, comme l'indique Vincent Lostanlen35 : « une démarche d'enquête visant à quantifier l'impact du streaming musical en unités physiques (volume de matière déplacée, puissance électrique, quantité de GES) se heurte à des incertitudes de toutes sortes. Pour sa plus grande part, la comptabilité écologique de la musique d'aujourd'hui reste à inventer ». Le musicologue Kyle Devine a publié Decomposed, The Political Ecology of Music en 2019, où il explore l'histoire de la matérialité de la musique enregistrée depuis ses origines jusqu'à nos jours. L'auteur témoigne des difficultés rencontrées dans son enquête, pendant laquelle il lui a été plus facile de recueillir des données sur la fabrication des disques et cassettes que sur le streaming :

« Nous pouvons savoir qu'un serveur cloud requiert « des câbles sous-marins à courant continu de quatre mille volts, 96 tonnes de batteries, des milliers de litres de diesel, des millions de kilomètres de câblage au dernier kilomètre » et une facture d'électricité́ qui « atteint facilement les cinq chiffres » tous les mois. Pourtant, les prestataires de bases de données et les services de streaming sont avares de détails quant à leur véritable consommation d'énergie, ce qui rend difficile la comparaison avec les formats antérieurs. [...]

Comment compare-t-on la prolifération actuelle des appareils de lecture numériques à la fabrication de 13 millions de radiophones en 1941, qui nécessitait 10 500 tonnes de cuivre, 280 tonnes de nickel, 2 100 tonnes d'aluminium et 70 000 tonnes d'acier ? Comment établir des bases solides pour ces comparaisons ? »

L'auteur met également en avant le fait que la confusion entre les notions de numérique et d'immatérialité relève du piège rhétorique (rhetorical trap) permettant de passer outre la réalité concrète des dégâts écologiques et sociaux dont l'industrie du streaming se rend complice, sans qu'il soit pour autant possible d'en analyser l'ampleur.

Ce qui est intéressant, c'est que l'industrie musicale, en raison de la manière dont la musique numérique s'est développée, ne contrôle pas son économie comme on pourrait s'y attendre, parce qu'elle ne possède ni les systèmes de distribution ni les plateformes. [...] Elle ne peut donc ni exiger ni agir sur un comportement spécifique au sein des DSP, parce que ceux-ci ne lui appartiennent pas. Et ce déséquilibre des pouvoirs, vous pouvez le comparer à l'industrie de la musique enregistrée physique telle qu'elle fonctionnait ; il existait bien sûr des distributeurs tiers et des magasins qui vendaient les disques, mais les maisons de disques étaient en grande partie responsables du processus. Lewis Jamieson, directeur de la communication et des relations avec l'industrie pour Music Declares Emergency

Métaverse, NFT, Intelligence Artificielle, Blockchain : cette nouvelle course à l'armement digital dont personne ne mesure véritablement les effets

De nouvelles technologies ont fleuri ces dernières années, telles que le métaverse, l'Intelligence Artificielle (IA) ou les NFT. Un éventail de nouveaux services digitaux sont proposés aux artistes, à l'instar des plateformes Pianity ou Opensea qui proposent des marketplaces36 de commercialisation et d'enchères de NFT. D'autres s'adressent à l'ensemble de la population, à l'instar de Chat GPT ou Midjourney qui proposent respectivement la génération de textes et d'images à l'aide de l'intelligence artificielle.

Il semble que les artistes de musiques électroniques soient les plus facilement attirés par l'expérimentation de ces nouvelles possibilités offertes, à l'image de Jean-Michel Jarre qui s'est même engagé au travers d'une tribune dans la défense d'un métaverse européen37. Cet intérêt n'est cependant pas l'apanage des artistes électroniques :

De manière empirique, je vois plus de musiciens dits des musiques électroniques s'emparer des nouvelles technologies de création et de rémunération en ligne [...] On a vu aussi certains rappeurs s'en emparer fortement avec une appétence pour toute la création assistée par ordinateur, par intelligence artificielle. Dans le jazz également. [...] Si on regarde les pionniers qui travaillent sur les nouvelles technologies naissantes, il y a dix ans, c'était d'ailleurs des jazzmen. En l'occurrence, on peut citer Bernard Lubat qui travaillait avec Marc Chemillé de l'IRCAM sur Djazz38 puis IMPROTECH39. » Maxime Thibault, Responsable des expertises innovation et transition écologique au Centre National de la Musique

En ce qui concerne les NFT, l'appétence des artistes pour cette technologie ne s'enferme dans aucun style musical, comme le montrent les nombreux exemples de projets suivants. On remarque en revanche que les artistes s'étant emparés de cette technologie dans leur production artistique se distinguent par leur approche pluridisciplinaire. Riles40, rappeur français prolifique, propose ses Sunday Stones : pendant une année entière, il s'est donné pour défi de publier un morceau original chaque dimanche assorti d'un visuel de pierre exprimant « the mood of the song ». L'artiste électronique Agoria41 de Grimes commercialise des NFT consistant en des créations numériques mises en musique. S'agissant de ces dernières, on notera que les ventes de ses NFT lui auraient permis de totaliser davantage de revenus que lors de toute sa carrière musicale en live et sur des formats plus conventionnels.

Il existe une niche d'artistes avant-garde qui soit mettent en œuvre leur propre intelligence artificielle pour étendre leurs pouvoirs créatifs, soit utilisent la blockchain pour distribuer ou trouver des moyens très innovants et hors des sentiers battus de circulation de leur musique et de participation des fans. [...] Mais je pense que c'est un groupe de personnes très détachées par rapport à ce que nous envisageons dans le secteur musical, qui est finalement constitué par beaucoup d'autres." Anna Zo, responsable des opérations au Music Innovation Hub

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les Sunday Stones de Rilès (NFT)

Au-delà des pures œuvres musicales et visuelles, la technologie NFT peut également servir comme support de la relation aux fans. Black Dave42, artiste américain pluridisciplinaire, au croisement du jazz et du manga, propose à ses fans de financer sa carrière en achetant ses collectibles, dont le premier, proposé en 2020, était un projet d'artwork inutilisé pour une pochette. Snoop Dogg vend un pass NFT qui confère l'accès à des contenus exclusifs et évolutifs. Fin 2021, Booba43, rappeur français installé aux États-Unis, déclare avoir écoulé les 25 000 NFT qu'il avait mis en vente, donnant l'accès exclusif à son nouveau clip, et parmi lesquels il allait tirer au sort un gagnant pour accéder dans des conditions premium à son futur concert au Stade de France.

Des billetteries NFT, enfin, se sont développées44 dans le cadre d'évènements sportifs et musicaux, permettant généralement l'accès à des avantages du type accès à des préventes, choix des sièges et d'autres contenus exclusifs avant ou après le spectacle.

Les professionnel·les interrogé·es portent un regard mitigé sur la capacité de ces nouvelles technologies à s'imprimer dans les usages des artistes. Elles et ils sont nombreux·ses à insister sur le caractère déceptif de certaines de ces innovations, à l'instar de la blockchain, sur laquelle la technologie NFT est pourtant construite, au même titre que les cryptomonnaies.

Il y a certainement beaucoup de scepticisme lorsqu'il s'agit de ces nouvelles technologies. Elles ne se sont pas toujours révélées aussi utiles qu'on l'avait promis aux artistes dans le passé. La diffusion de concerts en streaming en est un des exemples : tout le monde était censé le faire pendant le covid et cela n'a finalement été utile qu'à une poignée d'artistes. D'une certaine manière, je dirais que les NFT se révèlent déjà être une fausse promesse, alors qu'ils étaient censés amener une nouvelle source de revenus pour les artistes. » Anna Dungal, équipe événementielle pour Iceland Airwaves et Sena Live, fondatrice de OK Agency

Il est d'ailleurs révélateur de noter que cette observation issue des entretiens en dit long sur le niveau de maturité technologique du secteur musical. Notre questionnaire contenait une question ouverte concernant les nouvelles technologies. Sans préciser de quelle technologie il s'agissait, une majorité de répondants évoquait les réseaux sociaux. Le propos d'Anna Dungal concernant les artistes nous semble ainsi s'appliquer tout à fait aux professionnel·les dans leur ensemble :

Les artistes ne sont pas toujours à l'avant-garde. J'en connais encore qui ont du mal à accepter Tik Tok, alors que c'est devenu presque un prérequis [...] Je pense qu'il est beaucoup plus probable que la majorité restera sceptique. » Anna Dungal, équipe événementielle pour Iceland Airwaves & Sena Live, fondatrice de OK Agency

Même l'intérêt des professionnel·les de la billetterie et du spectacle semble plus que mesuré pour les NFT qui, après le formidable emballement de 2021 et 2022, peine à résister à la désertion du marché45.

Potentiellement, c'est générationnel. Très peu d'artistes ont commencé à s'y mettre, mais je pense que ça va avancer. [...]. La base de tout cela, c'est la proposition. S'il y a une proposition intéressante où qu'elle se trouve dans les nouvelles technologies, elle va permettre aux gens de s'y intéresser. » Louis Favre, directeur associé de TradeSpotting

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Ghostwriter ayant réalisé une chanson à partir d'une IA avec la voix de Drake, sur son compte Tik Tok.

En 2023, c'est l'intelligence artificielle (IA) qui bouscule tout particulièrement les artistes et organisations professionnelles, du fait de l'immensité des questions juridiques qu'elle soulève et des risques rapides de détournement ou de contrefaçon. La retentissante publication d'un faux featuring de Drake et The Weeknd, généré via l'IA par un anonyme se présentant sous le nom de Ghostwriter, l'illustre bien. Sans aucun cadre juridique, cette œuvre générée par l'IA, exploitant les voix d'artistes vivants, a pu être déposée sur les plateformes de streaming audio et vidéo ainsi que sur Tik Tok, et générer des centaines de millions de vues avant même que les différentes plateformes concernées ne puissent réagir. Toujours disponible, y compris sur Spotify, elle a même été soumise au comité de sélection des Grammy awards, obligeant son directeur à établir sa politique d'éligibilité à l'égard des œuvres issues ou ayant fait appel à l'IA . Le métaverse, lui, a peu animé nos entretiens et semble pour l'heure réservé à des artistes ayant une audience massive et internationale, capables de soulever l'intérêt des éditeurs de jeux vidéo, ou de marques et start-up largement installés. Les artistes s'y étant « produits », pour la plupart américains, ne sont rien de moins que Marshmello, Travis Scott, suivis de BTS, Justin Bieber, Eminem ou Ariana Grande.

Ces nouvelles technologies sont-elles appelées à s'enraciner de manière pérenne dans les usages des musicien·nes ? Cela paraît probable pour la majorité des personnes consultées, ce que confirme la perspective historique et musicologique de Kyle Devine que nous avons également rencontré dans le cadre de ces recherches. Il offre une perspective historique sur la manière dont les musicien·nes s'approprient les évolutions techniques des instruments :

Les innovations en termes d'instruments de musique et de technologies musicales ont tendance à créer des turbulences dans le secteur. [...] Il existe toujours une sorte de dichotomie où certaines personnes aiment vraiment ces tendances et les poursuivent de toutes les manières possibles. D'autres diront que "c'est en train de ruiner la musique". Vous savez, [...] "Les boîtes à rythmes, les synthétiseurs, les stations de travail audio-numériques, l'Auto-Tune ruinent la musique". Et maintenant, la dernière en date est que l'intelligence artificielle est en train de ruiner la musique. [...] Il y a une controverse en ce moment sur Drake. [...] Je pense que cela soulève des questions vraiment sérieuses et intéressantes. Mais historiquement, le même genre d'inquiétude et d'excitation se répète encore et encore. [...] L'Auto-Tune, qui [...] a été classé par le magazine Time parmi les 50 pires inventions de tous les temps [...] est désormais un outil de plus dans la boîte à outils, au studio, sur scène, dans les espaces d'improvisation ». Kyle Devine, professeur au département de musicologie de l'université d'Oslo et membre du conseil consultatif d'Evolution.

Sa démonstration annonce l'accumulation à venir de ces technologies aux côtés des services et dispositifs numériques existants. C'est précisément ce qui se produit dans le spectacle vivant, où en seulement vingt-ans s'est généralisé l'usage de projecteurs asservis et, ces dix dernières années, se sont accumulés dans les scénographies les vidéoprojecteurs lasers, écrans LED et autres effets spéciaux scéniques (Stage FX) toujours plus puissants. Dans les scénographies des plus grosses têtes d'affiche internationales, il devient même assez courant de trouver du Live Broadcast (diffusion en direct). De véritables équipes de réalisation travaillent dans le meilleur des cas avec les flux vidéo des équipes en place, et, dans le pire, déplacent à grand renfort de semi-remorques la totalité de leur staff et matériel vidéo. C'est tout le paradoxe du spectacle vivant qui déploie dans le même mouvement une large concertation pour réduire son empreinte, et mobilise pourtant toujours plus de technologie sur scène. François Ribac46, sociologue et musicien, consacre une partie de sa critique du management actuel de la transition musicale par ses opérateurs, à ces effets rebond et d'accumulation dont il est question ici :

Dans un régime basé sur le profit et l'expansion, l'optimisation d'une technologie est plutôt utilisée par les acteurs économiques afin d'augmenter leur capacité de production et leurs marges. (...) Deuxièmement, il est rare qu'une technologie soit remplacée par une autre. La règle est plutôt l'accumulation et la coexistence, un point clairement illustré dans les travaux d'Edgerton[^47] sur l'histoire des technologies et, plus récemment, dans ceux de Fressoz sur la « transition énergétique ». De fait, le pétrole n'a pas remplacé le charbon qui n'a pas remplacé le bois, les énergies renouvelables n'ont pas détrôné les énergies fossiles (...). De même, à l'exception notable du télégraphe, aucune technologie de communication n'a vraiment disparu depuis la fin du 19e siècle : la télévision n'a pas remplacé la radio, la vidéo à domicile n'a pas remplacé le cinéma, les emails n'ont pas remplacé le téléphone, le web n'a pas supprimé les médias antérieurs -- même les cassettes audio ont survécu ! Toutes ces technologies se sont hybridées et on a assisté à une hausse et une diversification considérable des usages et... des consommations énergétiques. »

L'histoire de l'évolution des technologies, largement évoquée ici, nous conduit à penser que tout ou partie de ces « métaverse, IA et autres NFT » vont s'implanter durablement dans le paysage de l'écosystème musical, alors même que leur impact n'est ni mesuré, ni maîtrisé, et que leurs architectes refusent de communiquer les données permettant d'en évaluer le poids environnemental47. La matérialité de ces technologies, si elle n'est pas encore pleinement connue, frôle pourtant la prédation : une série de 5 à 50 recherches sur Chat GPT consommerait en moyenne un demi-litre d'eau48, sur une planète où 700 millions de personnes sont touchées par la pénurie d'eau49. Ce profond paradoxe se retrouve jusque dans les politiques publiques de certaines institutions et gouvernements, à l'instar du gouvernement français appelant « en même temps » au lancement « d'alternatives vertes » et « d'expériences augmentées du spectacle vivant » ainsi qu'à la numérisation de son patrimoine.

On observe ainsi un dangereux parallèle entre la trame narrative du film Le Congrès50 qui racontait en 2013 l'histoire d'une actrice intégralement scannée par les studios de Cinéma pour pouvoir se l'approprier et en disposer éternellement, et l'actualité des studios Disney. En effet, certains figurants auraient été scannés pendant un tournage Marvel en août 2023, sans qu'il leur soit expliqué l'usage qui serait fait de cette numérisation, ni qu'elle fasse l'objet d'un complément de rémunération51. Alors que l'IA fragilise déjà les métiers du doublage52 et de la scénarisation, il est illusoire d'imaginer que le secteur musical sera épargné par cette remise en cause profonde des métiers qui s'annonce. La récente et inédite grève des scénaristes d'Hollywood est un bon exemple de ce que les artistes peuvent obtenir en se mobilisant collectivement.53 Ils interrogent la place de ces technologies face à l'urgence d'une trajectoire de décarbonation.

C'est le futur ? Ben non, en fait pas forcément, si on n'arrive pas à résoudre cette équation. Ces outils très énergivores ne vont pas du tout dans le sens d'une trajectoire de sobriété numérique. Est-ce que leur exploitation est pérenne ? Est-ce qu'elle doit être faite par n'importe qui ? » Maxime Thibault, responsable des expertises innovation et transition écologique au Centre National de la Musique.

Le streaming, ou l'âge du « gaspillage de matière et d'effort »

Lorsqu'il s'agit de considérer l'impact environnemental numérique de l'écosystème musical, le streaming concentre l'essentiel des attentions. Comme nous l'avons évoqué précédemment, il n'existe que peu, voire pas, de données disponibles, et leurs méthodes de calcul ne sont pas rendues publiques. La complexité de l'infrastructure et la multiplicité des opérateurs contribuent également à rendre impraticable l'analyse de l'impact du service et à générer certaines absurdités pesant sur le bilan énergétique du service, comme le décrit avec précision Vincent Lostanlen54.

Dans son Equity & impact report 2022,55 Spotify établit que 98,9 % de son bilan carbone relève du Scope 3, c'est-à-dire de la partie de ses émissions produite par ses fournisseurs, sous-traitants, et par les consommateur·rices de ses services. Seul un petit paragraphe, pour le moins flou, aborde la question pourtant essentielle de l'usage final des services de Spotify (26,5 % de son bilan 2022), suivi par une présentation bien plus étoffée de ses actions menées sur les locaux de l'entreprise, représentant pourtant seulement 5 % de son bilan. Certaines actions mises en avant peuvent surprendre : s'agissant de la réduction de son impact marketing, plutôt que d'imaginer une réduction de ses campagnes digitales, ou leur éco-conception, elle met en avant sa démarche d'upcycling de bâches publicitaires à Lagos, transformées en sacs pour les écolier·res de la capitale du Nigeria. On note enfin que l'entreprise met sur le même plan sa politique de valorisation de contenus traitant du changement climatique et sa propre démarche de réduction d'impact.

Le streaming audio par le biais de services de streaming, tels que Spotify, n'est qu'une composante parmi d'autres d'une large palette de modes de consommation de la musique. Comme l'indique l'article « Écologie, musique & digital » publié sur Audiofanzine56 en 2023, dont le graphique ci-dessous est extrait, la musique est consommée de bien des manières sur Internet. Que ce soit par le visionnage de clips, d'extraits de live, ou d'albums mis à disposition avec une image fixe, la consommation de bande passante n'est rendue que plus importante par les réglages par défaut de Youtube. Ces réglages prévoient la poursuite de lectures de fichiers recommandés par l'algorithme selon les historiques du consommateur, avec ou sans personne pour les regarder, faisant de la vidéo « ce robinet qui coule sans discontinuer, sans souci de ce que cela coûte en énergie et en ressources derrière57... ».

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Graphique extrait de l'article « Écologie, musique & digital, la musique sur le green à l'heure du numérique » publié le 13 mars

Spotify est partie prenante du projet DIMPACT58 mené par le cabinet de consulting Carnstone, en partenariat avec l'Université de Bristol. Cette initiative travaille à « mesurer, comprendre et, à terme, réduire les émissions liées à la diffusion des médias numériques et des produits de divertissement ». On compte parmi ses membres certaines des plus grosses structures de services numériques (Google, Netflix, The Walt Disney Company, WeTransfer et Spotify). Lors de leur rassemblement en juin 2023 au London Tech Event, Becca Samson y énonçait pour WeTransfer et au nom des autres partenaires les conclusions suivantes :

Le secteur a besoin de plus de transparence et de normalisation. L'utilisation d'outils et de méthodologies reconnus est importante pour la crédibilité. La mesure et la réduction doivent être prioritaires par rapport aux compensations. Tout le monde doit y gagner : la durabilité et la performance.[^60] 

Si l'on souscrit aux propos rapportés dans cette synthèse, on est plus sceptique en observant les fondements théoriques de l'initiative. En effet, leur première publication, présentée comme une revue de littérature (qui ne comprend pas de bibliographie) énonce des principes guidant leur action vis-à-vis desquels on peut légitimement s'interroger : le document affirme entre autres que les industries numériques sont plus avancées dans leur action de décarbonation que celles de l'aviation ou du transport maritime international, et donc plus en capacité de répondre aux enjeux de la transition écologique. Ce document énonce également que la dépendance accrue des sociétés humaines au numérique n'aurait pas eu pour effet d'augmenter la consommation sectorielle d'énergie, et que le streaming aurait un impact relativement mesuré comparativement à d'autres activités de loisirs. Le document préconise enfin de ne pas définir de politique de décarbonation numérique avant d'avoir analysé les données spécifiques des parties-prenantes, dont il est reconnu qu'elles sont difficiles d'accès, sans dénoncer cette situation pour autant, ou s'engager à montrer l'exemple en communiquant de manière transparente les données de leurs membres.

L'initiative, loin de pousser pour des changements structurels des offres et systèmes des industries culturelles numériques, préconise essentiellement une modification des sources d'approvisionnement d'énergie pour du renouvelable, et une augmentation de la performance des écrans chez les particuliers. Elle suggère même d'investir dans des réseaux globaux comme la 5G pour éviter l'usage de réseaux particuliers tels que les réseaux Wi-Fi domestiques, alors que d'autres travaux recommandent tout l'inverse ; ces derniers mettant en avant que l'amélioration de la performance d'un réseau, de la 4G à la 5G se traduit systématiquement par la démultiplication des usages.

D'une certaine manière, ce qui est intéressant dans le domaine de la musique numérique, c'est-à-dire les DSP (Spotify, Apple, etc.), c'est le peu de données dont ils disposent. À ma connaissance, il n'existe pas encore d'étude faisant autorité qui documente les émissions de carbone ou l'impact environnemental de l'un ou l'autre ou de tous les DSP. Il n'y a pas un seul élément de recherche que l'on puisse identifier pour dire clairement : "Voilà le type d'impact de la diffusion en continu". Il existe divers travaux de recherche qui en donnent un aperçu, mais aucun d'entre eux n'a été vérifié comme cela a été le cas pour les maisons de disques ou les chaînes d'approvisionnement physiques » Lewis Jamieson, directeur de la communication et des relations avec l'industrie pour l'association Music Declares Emergency.

Vincent Lostanlen a retrouvé chez Deezer cette même tendance à faire « reposer intégralement sur "l'abonné" la responsabilité de verdir l'énorme infrastructure matérielle qui les relie au "service" »59. La société indique d'ailleurs dans sa déclaration de performances extra financières que les activités de leur groupe « ne présentent, de par leur nature, qu'un impact limité sur l'environnement ». On n'identifie pas de référence scientifique qui permettrait de l'affirmer. Dans son article précédemment cité, à rebours de l'idéologie qui émane des publications de DIMPACT, Vincent Lostanlen prend acte du gâchis qui est fait d'une technologie initialement plus vertueuse que celles l'ayant précédée :

Il est à craindre que l'âge du streaming soit celui d'un gaspillage de matière et d'efforts. Non pas que le format lui-même soit plus polluant, au contraire : puisqu'il n'a plus besoin d'un moteur pour faire tourner le disque, le recours aux fichiers de type MP3 représente un gain d'efficacité, toutes choses égales par ailleurs. Mais le streaming, dans sa forme contemporaine, nous oriente vers des usages plus dispendieux (télécharger le même contenu à répétition), vers un rachat d'appareils fréquent (pour « profiter pleinement » du service ou simplement parce qu'ils sont fragiles et difficilement réparables); et, par suite, vers une opacification des dommages écologiques et sociaux de l'industrie de la musique enregistrée60. »

ESSAI 1 : Le problème avec le calcul des émissions carbone pour la musique numérique

Par Matt Brennan (professeur de musique populaire, Université de Glasgow)

L'un des problèmes les plus frustrants pour les musicien·nes qui tentent de réduire leur impact numérique sur l'environnement est le calcul précis des émissions de carbone provenant du streaming. Il s'agit d'un défi difficile à relever pour au moins deux raisons.

Tout d'abord, il faut déterminer qui doit être responsable du calcul des émissions (l'artiste, le manager, le label, le distributeur, la plateforme, le fournisseur d'accès à Internet, le fournisseur d'énergie, etc.)

Deuxièmement, nous devons nous mettre d'accord sur comment identifier et mesurer de manière rigoureuse tous les intermédiaires qui émettent du carbone tout au long du processus, depuis le moment où l'artiste achève un disque jusqu'à celui où le consommateur l'écoute.

Ces deux défis sont étroitement liés. Que l'on soit un individu ou une organisation, nous devrions tou·tes tenir compte de notre empreinte carbone. Mais le carbone libéré par la musique numérique appartient-il à l'artiste lui-même ? À sa société de gestion ? À sa maison de disques et/ou à son distributeur, qui met les enregistrements sur support numérique ? Aux grandes plateformes de streaming qui facilitent l'accès aux catalogues de musique enregistrée ? Aux fournisseurs d'accès internet dont dépendent les plateformes ? Aux fabricants des appareils (téléphones, ordinateurs portables, tablettes, etc.) sur lesquels nous écoutons de la musique en format numérique ? Aux compagnies d'énergie qui alimentent ces infrastructures ? Ou encore aux consommateurs qui écoutent la musique à l'autre bout de la chaîne ?

Prenons l'exemple du rapport d'inventaire des émissions de Beggars Group, qui a annoncé en 2021 son ambition de devenir une entreprise à bilan carbone négatif d'ici fin 2024. Beggars Group est l'un des plus grands labels indépendants au monde : il s'agit en fait d'un consortium de cinq labels indépendants : 4AD, Matador, Rough Trade, XL et Young. Pour donner une idée de son envergure, le revenu annuel de Beggars Group est de l'ordre de 80 millions de livres sterling et son catalogue compte des artistes aussi importants qu'Adele et Radiohead.

La norme industrielle internationale pour le calcul des émissions de carbone s'appelle le Greenhouse Gas (GHG) Protocol, qui classe les émissions de carbone des entreprises en trois catégories, et le rapport de Beggars Group a consciencieusement estimé ses émissions à l'aide de cette norme industrielle. Dans son rapport, Beggars Group a identifié des moyens de réduire ses émissions des Scopes 1 et 2 (c'est-à-dire le carburant consommé et l'électricité utilisée dans les bureaux et les studios de l'entreprise), mais a également noté que 99 % de ses émissions relèvent du Scope 3, qui comprend les biens et services achetés (comme les CD et les vinyles), le transport et la distribution en amont de ces biens et services, et la distribution en aval, comme les émissions provenant de plateformes de streaming telles que Spotify.

L'entreprise a pour objectif de réduire les émissions qu'elle contrôle et de compenser le reste (y compris les émissions provenant de ses enregistrements sur les plateformes de streaming), afin de parvenir à un résultat net nul. Mais vous pouvez voir comment cette approche peut rapidement devenir une pente glissante, la responsabilité de la réduction réelle des émissions (par opposition à leur compensation) passant constamment d'un acteur de la chaîne à l'autre.

Je tiens à préciser que si j'utilise l'exemple du Beggars Group, ce n'est pas pour le critiquer, mais plutôt parce que son rapport est sans doute le meilleur et le plus complet que j'ai vu dans le secteur de l'enregistrement. Beggars Group travaille plus dur que la plupart des maisons de disques que je connais pour lutter contre le changement climatique. Pourtant, bon nombre des émissions de carbone les plus importantes liées à leur activité, comme le streaming de musique en format numérique (et les tournées d'artistes), dont dépend leur modèle économique, sont considérées comme échappant à leur contrôle organisationnel.

Bien entendu, ce problème ne concerne pas uniquement l'industrie de la musique numérique, mais toutes les industries de l'économie mondiale. La manière de résoudre ce problème dépasse le cadre de cet essai, mais la première étape consiste à le comprendre, et j'espère que l'analyse ci-dessus constituera un petit pas vers cet objectif.

Matt Brennan est professeur de musique populaire et responsable du Master en sciences des industries musicales à l'université de Glasgow. Il a été président de la branche britannique et irlandaise de l'Association internationale pour l'étude de la musique populaire (IASPM) et a écrit et édité plusieurs ouvrages dans le domaine des études sur la musique populaire. Son dernier livre, Kick It : A Social History of the Drum Kit (Oxford University Press) a été désigné comme l'un des "meilleurs livres de musique de 2020" par le Financial Times, et sa précédente monographie, When Genres Collide (Bloomsbury), a été désignée comme l'un des "livres de musique préférés de 2017" par Pitchfork. En 2018, il a dirigé le recensement de la musique live au Royaume-Uni, le premier recensement national de ce type au monde. Il mène actuellement des recherches sur les stratégies de durabilité environnementale pour les villes musicales, en utilisant Glasgow comme étude de cas.

Face aux enjeux du numérique, un écosystème musical dépolitisé, apathique ?

Pour mesurer le niveau d'intérêt des professionnel·les sur les questions numériques et écologiques, nous leur avons successivement demandé d'estimer, sur une échelle de 0 à 5, comment elles et ils se sentaient concerné·es à titre individuel par :

  • La crise climatique

  • La transition écologique dans le secteur musical 

  • La transition écologique numérique du secteur musical

L'intérêt déclaré de notre échantillon pour les enjeux touchant à la crise climatique est très élevé puisqu'il se situe en moyenne à 4 sur 5. Ce niveau d'engagement déclaré ne présume pourtant pas de celui porté sur leur application à l'écosystème musical, et encore moins s'agissant des aspects numériques de cette transition écologique musicale. Par leurs notes, les professionnel·les ont témoigné d'un intérêt décroissant depuis la crise climatique en général jusqu'au numérique dans leur écrasante majorité. Quelle qu'ait été leur réponse vis-à-vis de la crise climatique, leur intérêt pour le versant numérique de ces transformations environnementales dans le secteur musical a été significativement plus faible.

En ce qui concerne l'aspect numérique, je n'en ai pas entendu parler. Les artistes avec lesquels je discute pensent davantage à l'aspect physique. L'empreinte carbone de leurs tournées ou de la fabrication lorsqu'il s'agit de vinyles ou de produits dérivés. » Anna Dungal, équipe événementielle pour Iceland Airwaves et Sena Live, fondatrice de OK Agency

Les seules exceptions logiques à cette observation sont les membres de sociétés proposant des services numériques et celles et ceux travaillant sur ces questions dans l'écosystème musical ou dans le cadre de leurs recherches. Pourtant, ces professionnel·les déclarent un niveau d'intérêt pour la transition écologique musicale situé entre 3 et 4 sur une échelle de 5.

Les questions numériques et écologiques constituent un véritable impensé pour la plupart des professionnel·les que nous avons rencontré·es. De manière récurrente, alors que nous les interrogions sur leur niveau d'intérêt et d'engagement personnel, elles et ils ont déclaré ne pas travailler assez sur ces questions dans leur cadre professionnel, ou ne pas en faire assez.

Beaucoup de personnes de mon entourage étaient convaincues de la nécessité de transitionner, avaient fait une démarche individuelle, jusqu'à devenir complètement végan pour une part d'entre-eux, mais (elles) étaient en incapacité de pouvoir mettre en œuvre ces valeurs-là dans leur boulot. J'ai essayé de trouver un terme pour parler de ce problème qui semble être une forme d'apathie professionnelle. [...] Celle de ne pas inclure la dimension écologique, la planète, la biodiversité dans son action. » Fabrice Jallet, responsable de l'entrepreneuriat et de l'incubation à Bliiida.

S'agissant des questions numériques, le manque de connaissances et de compréhension, mais aussi d'intérêt, est patent, et signe de l'immaturité du secteur en la matière. Ce désintérêt n'est pas sans origine : il s'explique par le peu de projets professionnels existants susceptibles de mobiliser à ce jour sur ces questions. On l'a constaté dans le domaine du spectacle vivant : si les questions de transition écologique du spectacle vivant se sont largement diffusées dans l'écosystème, c'est grâce aux initiatives portées par les événements, les collectifs et une myriade de prestataires mobilisés depuis 20 ans. C'est ce dynamisme, issu d'ailleurs du terrain et non des organisations professionnelles, qui permet en 2023 de questionner collectivement les fondements mêmes des modes de production actuels : clauses d'exclusivité, plans de tournées reposant sur un usage intensif de l'avion, ampleur des dispositifs techniques tournant avec l'artiste, consommation énergétique des événements, mobilité des publics... Ce dynamisme n'existe tout simplement pas sur le versant numérique de l'écosystème musical et explique, sûrement en partie, que nos interlocuteur·rices n'identifient aucune solution.

Ce manque de connaissances et de mobilisation s'explique aussi par l'immatérialité perçue (et non réelle) des activités numériques, qui revient sans cesse comme une explication de ce faible intérêt. Nous retrouvons ici le piège rhétorique (rhetorical trap) qui tend à confondre numérisation et dématérialisation, tel qu'énoncé par Kyle Devine dans son ouvrage Decomposed et repris par Vincent Lostanlen dans son analyse de l'écologie numérique.

L'une des actions que nous menons, c'est de compenser notre empreinte carbone. [...] Étonnamment, une grande partie de cette empreinte est constituée par les logiciels. Ce qui m'a semblé surprenant parce que les logiciels, c'est du numérique, n'est-ce pas ? Ce n'est pas comme lorsque vous pensez à la fabrication d'un t-shirt. [...] Les usines doivent fonctionner, vous devez l'expédier. Et toutes ces choses se sentent, se ressentent. Alors que le numérique, c'est un peu abstrait. » Jonny White, PDG de Ticket Tailor

Dans un tel contexte, les initiatives sont rares, et certains se sont épuisés face à l'inertie du système, comme ici Fabrice Jallet en 2019 :

J'avais rencontré au détour d'un MaMA (*une convention professionnelle musicale à Paris)* quelqu'un qui était en train d'essayer de créer un circuit de récupération des DOM (*disques optiques numériques)* \[...\] J'ai essayé de l'aider pendant un moment, j'ai contacté le SNEP, les sociétés civiles de producteurs phonographiques, SCPP, SPPF, le réseau de disquaires. Et lui comme moi, nous nous sommes épuisés face à des personnes qui disaient "Oui, il faut agir, il faut agir". » Fabrice Jallet, responsable de l'entrepreneuriat et de l'incubation à Bliiida.

Le pianiste polonais Wojtek a réalisé en 2020 un album qu'il présente comme « neutre en carbone » (carbon neutral), dont la démarche est présentée dès la page d'accueil de son site Internet :

J'ai enregistré et produit l'album de manière neutre en carbone. J'ai enregistré Atmosphere dans un studio qui utilise des énergies renouvelables. J'ai veillé à ce que la même quantité d'énergie renouvelable soit fournie au réseau énergétique que celle utilisée pour l'enregistrement et la production. [...] J'ai reçu l'aide d'un expert en climat et en énergie pour cartographier les émissions potentielles afin de pouvoir les éliminer et les compenser de la manière la plus crédible possible. [...] même un artiste débutant peut faire la différence.

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Capture d'écran du site de Wojtek

Bien que le caractère réellement neutre en carbone de l'enregistrement de cet album puisse poser question, la démarche semblant se concentrer sur la question énergétique, on peut signaler l'originalité et le mérite de l'initiative. Sur d'autres questions plus en lien avec les modèles numériques, le groupe américain Lorenzo's music travaille uniquement avec des systèmes et logiciels libres de droit, dans un esprit collaboratif et ouvert, loin des logiques du mode SAAS. Ce « creative commons band », comme il aime à se présenter, justifie son choix dans une interview accordée à Forbes61 sur le sujet :

N'importe qui peut utiliser notre musique pour des vidéos, des films, des applications et la rééchantillonner pour en faire ce qu'il veut tant qu'il nous en donne le crédit ou l'attribution. Nous croyons donc au concept de culture open source. Il était tout à fait logique de créer avec des choses qui ont les mêmes principes. L'idée était la suivante : les musicien·nes consacrent déjà beaucoup de temps et d'argent à l'achat de matériel et d'instruments, et nous voulions savoir ce qu'il était possible de faire avec des outils open-source. C'est vraiment génial de savoir qu'il existe une communauté de personnes qui créent des logiciels pour les musicien·nes et les artistes et qui partagent la même idéologie de partage et de disponibilité pour tout le monde. Et c'est possible !

Quelques labels seulement ont rendu publiques leurs démarches de calcul et de réduction d'empreinte carbone et environnementale. Les plus emblématiques et instructives sont celles de Ninja Tune,62 qui a arrêté dès 2008 d'utiliser les emblématiques autant que polluants « boîtiers cristal » en plastique transparent, et qui a depuis changé son système de chauffage de locaux, renoncé à l'acquisition de véhicules d'entreprise, ou encore développe son fret maritime. Le travail de calcul d'impact carbone du groupe Beggars63 est quant à lui un exemple à suivre en matière de transparence sur la provenance de ses données, sa méthodologie et les éventuels motifs d'exclusion de l'un ou l'autre des facteurs considérés. Sans surprise, c'est à nouveau le scope 3, c'est-à-dire celui comprenant l'impact des fournisseurs et bénéficiaires de l'activité des labels musicaux, qui est le poste le plus important. Certaines des sociétés de services numériques rencontrées pour cet entretien tentent elles-aussi de réduire leur impact sur les aspects qu'elles maîtrisent et pour lesquels elles ont des marges de manœuvre. Elles renvoient cependant les DSP à leurs propres responsabilités, en regrettant leur dépendance vis-à-vis d'elles :

On a fait ce qu'il fallait pour avoir des serveurs en France qui ne polluent pas, [...], on passe le label numérique responsable pour l'agence. On est dans le processus d'audit, au premier niveau, pour voir ce que l'on peut faire. On n'achète plus d'ordinateurs neufs mais reconditionnés. On n'est clairement pas au top, on le sait, mais on a besoin d'avancer, et c'est pour cela qu'on a contacté le label numérique responsable, l'agence LUCIE, qui nous permet d'y voir plus clair. Mais tant que META est ultra puissant et que j'en ai besoin pour défendre les projets dont j'ai la charge, je ne peux pas m'en passer. Sur ce qu'on maîtrise, en revanche, on a une démarche. » Louis Favre, directeur associé de TradeSpotting.

Cette dépendance s'est également exprimée à de nombreuses reprises en ce qui concerne les artistes :

Les artistes ont beaucoup de mal à faire carrière s'ils choisissent de ne pas s'engager avec Meta ou Spotify » Anna Dungal, équipe événementielle pour Iceland Airwaves & Sena Live, fondatrice d'OK Agency

Il semble particulièrement complexe pour les éditeurs de logiciels d'envisager de s'extraire des mécaniques actuelles d'hébergement, comme celles à l'œuvre chez Amazon Web Services (AWS) qui totalise 32 à 35 % de parts de marché des infrastructures de stockage en ligne.

« Avant, on avait un site internet sur un serveur et c'était tout. C'était simple et agréable. Maintenant, avec ces services web, tout est divisé en petits morceaux. Ainsi, nous utilisons probablement une vingtaine de produits différents sur AWS pour fournir notre service. Même s'il existait un service comparable capable de tout faire, il serait très difficile de sortir de cet écosystème » Jonny White, PDG de Ticket Tailor

Une autre initiative, semblable à celle de DIMPACT évoquée précédemment, émerge enfin du côté de Greening of Streaming, une organisation rassemblant de nombreux acteurs de la diffusion numérique (services d'hébergement « dans le nuage » ou cloud computing, de diffusion vidéo/audio, cabinets de conseils, services numériques divers) pour établir des mesures et travailler à l'établissement de bonnes pratiques sectorielles en vue de réduire l'impact de leurs activités. Leur dernier projet intitulé LESS accord64 a pour objet de faire converger les différentes recherches des membres, en vue de réduire la consommation énergétique du streaming vidéo et faire se concerter les parties-prenantes techniques de cette industrie.

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Capture d'écran de la vidéo de présentation du projet LESS Accord de Greening of streaming

Deux des principales organisations européennes en matière de musique enregistrée travaillent depuis 2021 à l'établissement de travaux de décarbonation de l'activité de leurs membres. Impala, qui regroupe environ 6000 labels indépendants au travers de toute l'Europe continentale, est engagée depuis 2021 dans une trajectoire de transition climatique qu'elle a formalisée au travers d'une charte du climat65 et de plusieurs actions et outils, dont la création d'un outil de calcul carbone adapté à l'activité des labels. Plus récemment la structure a approfondi son ingénierie de réduction d'empreinte carbone avec le projet IMPACTS.

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La charte du climat du réseau Impala

En parallèle des travaux d'Impala, l'association britannique de la musique indépendante, l'AIM, a également mis en place une initiative au travers du Music Climate Pact66. Ce pacte engage ses signataires, parmi lesquels Beggars, Ninja Tune, Universal Music Group ou Sony Music, à se lancer dans une démarche de réduction carbone, à participer aux initiatives sectorielles pour faire émerger des méthodes, et à soutenir les artistes prenant la parole publiquement sur ces questions.

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Extrait du Climate Music Pact

Enfin, on signale le projet REC porté en France par les principales institutions et organisations professionnelles françaises en matière de musique enregistrée. Lancée en 2023, cette étude se donne pour objectif de définir « une feuille de route stratégique bas-carbone pluriannuelle » pour la musique enregistrée d'ici le printemps 2024.
Ces initiatives, encore très récentes comparativement à celles du versant Live de l'écosystème, et pour la plupart toujours en cours, n'ont pas encore essaimé sur l'ensemble de l'industrie de la musique enregistrée. Elles ne sont pas assez avancées pour proposer des solutions techniques et des modèles de réduction, mais elles composent ensemble un socle sérieux, légitime, et en capacité d'initier cette trajectoire.

Les artistes et professionnel·les de l'industrie musicale ont besoin de connaissances pour s'engager dans la transition écologique numérique

Le déséquilibre est flagrant entre le niveau d'ingénierie et de créativité qu'on observe dans le secteur du Live pour travailler à sa transformation, et l'état des réflexions touchant au numérique, où il ne se passe rien, ou si peu, à l'heure actuelle. À l'écoute des professionnel·les, il nous apparaît que l'absence de données disponibles, le manque de connaissances qui en découle et les solutions qui n'émergent pas en conséquence, provoquent un cercle vicieux qu'il s'agit pour la profession de briser afin d'engager cette transformation.

Trois documents pour aller plus loin :

Environmental sustainability in the digital age of culture, Julie's Bicycle (2020) (en anglais)
L'organisation britannique Julie's Bicycle, dont les travaux sont mondialement reconnus dans le domaine de la transition écologique culturelle, a publié un document synthétisant les enjeux de l'industrie numérique en général appliqué au secteur des industries culturelles et créatives. Particulièrement didactique, il permet, en quelques instants de lecture, de se familiariser avec les notions d'économie circulaire, de Cloud, d'analyse de cycle de vie (ACV), ou de data centers. Il offre également cinq recommandations pour abaisser l'impact de ses services et usages numériques.

The Cost of music, un court-métrage par Matt Brennan & Graeme O'Hara (en anglais) 

Ce film explore en à peine 10 minutes l'histoire de la matérialité de la musique et de son empreinte environnementale, et propose une approche à la fois sensible et scientifique de la question des supports de diffusion de la musique.

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Acteurs culturels, des pistes pour un numérique plus responsable par le collectif français des Œuvres Vives (en français)

Ce document très complet - à la fois inspirant, technique et très abordable - est une ressource précieuse pour qui souhaite se former en matière de communication numérique responsable, et brosse, dans le contexte culturel, des questions aussi vastes que la conception d'un site web, la création et la diffusion de vidéo, ou la création de podcasts et de newsletters.

Les professionnel·les expriment à l'unanimité un besoin de formation et de sensibilisation sur les enjeux socio-écologiques du numérique musical. Dans cette perspective, la création de connaissances reposant sur des données à la fois sincères et complètes est un prérequis urgent et impérieux.

Aujourd'hui, nous sortons la chanson d'un groupe que nous avons créé dans notre club Music Box. Evidemment, la stratégie se déroule principalement en ligne. Si je le faisais avec des flyers dans la rue, je pourrais voir directement l'impact du papier. Mais nous le faisons via Instagram et nous n'avons pas idée de ce que cela signifie en termes d'impact. Mais je sais que cela a un impact. Et je sais que c'est important. J'ai vu des études sur ces énormes centres informatiques. Mais on ne s'en rend pas compte quand on le fait ». Gonçalo Riscado, manager culturel, PDG de Music Box et de CTL

Le manque perçu d'alternatives, qu'il soit réel ou pas, accroît le sentiment d'absence de choix des artistes :

Les artistes avec lesquels je travaille, ont toutes et tous un intérêt pour les enjeux éco-responsables, mais utilisent les outils standard. S'ils avaient le choix avec des alternatives plus éco-responsables, je pense qu'ils les utiliseraient, mais il y a un manque d'information et de propositions alternatives. Céline Garcia, manageuse d'artistes, cofondatrice et directrice Générale de Puppet Master.

Les artistes doivent participer aux mouvements de transformation de la musique numérique, mais il n'est pas légitime de leur demander de l'initier

Quel rôle les artistes doivent-ils et elles tenir dans cette transformation ? Pour s'emparer de la question numérique, les professionnel·les de la musique ont besoin de connaître et de comprendre l'impact physique de leurs activités. Les artistes, tout particulièrement, ont besoin d'être accompagné·es, épaulé·es, et soutenu·es lorsqu'ils s'engagent dans cette voie. Car si l'injonction à l'exemplarité touche toutes les personnes s'exprimant sur les sujets de société, elle frappe plus durement encore les artistes et provoque un effet d'autocensure :

Les artistes hésitent beaucoup à s'exprimer sur les enjeux liés au développement durable, car, comme vous le savez probablement, ils et elles reçoivent beaucoup de réactions négatives. Lorsque, par exemple, Bonobo a signé la déclaration de Music Declares Emergency et a parlé de l'importance de cette question, le lendemain, le Daily Mail a publié un article énumérant les dates de sa tournée à venir et le nombre de voyages qu'elle impliquait. Un article terriblement négatif. Il n'aime donc pas prendre la parole et n'a pas l'impression d'avoir beaucoup de pouvoir. Il a du pouvoir en ce sens qu'il peut parler à son management, au management de sa tournée, de la manière dont il gère et organise les dates, etc. Mais je pense que beaucoup d'artistes n'ont pas vraiment l'impression d'avoir beaucoup de pouvoir parce qu'ils n'ont pas l'impression de pouvoir vraiment s'exprimer publiquement ». Peter Quicke, ancien co-directeur général et aujourd'hui président de Ninja Tune, co-fondateur de Music Declares Emergency et de Climate Action Group, membre du comité de développement durable d'Impala.

Pour pouvoir changer, il faut comprendre, et amener les artistes, selon Ragnar Berthling, dans une approche positive de la question environnementale :

Il ne s'agit pas de donner mauvaise conscience aux artistes qui n'en font pas assez. Je pense qu'il faut avoir une approche beaucoup plus proactive et positive du sujet en général, et que nous faisons partie de quelque chose de plus grand où nous avons réellement la possibilité de créer ensemble un avenir durable. Et les retombées peuvent être énormes, dans cette grande discussion actuelle, là où vous et moi suivons les musicien·nes et les artistes de manière très personnelle » Ragnar Berthling, directeur général de Musikcentrum Öst et cofondateur de Keychange

L'ensemble des interrogés s'accorde sur l'idée que les artistes pourraient inspirer et incarner le changement de l'industrie musicale auprès du public comme de l'écosystème tout entier. Pour autant, est-ce leur rôle ?

J'en ai assez des artistes qui transmettent tous types de messages en permanence parce que la société pense qu'ils et elles doivent le faire. Nous ne pouvons pas faire d'eux notre plateforme de communication, même si les messages sont bons. Je pense que nous devons le faire si les artistes s'en saisissent, et beaucoup le font parce qu'ils se sentent personnellement concernés, c'est très bien. Mais ce n'est pas ce qui se passe. Je serais très prudent pour ce qui est de leur imposer des attentes sociales en tant que groupe. Mais il est aussi vrai qu'en général, en tant que personnes, nous avons cette responsabilité » Virgo Sillamaa, chercheur en musique pour EMEE

Une idée ressort assez largement des entretiens et relève de la même tension consommateur/industrie que celle existant dans le débat public sur le changement climatique. On peut la résumer ainsi : il n'est pas légitime de faire reposer sur les épaules des artistes les responsabilités qui pèsent sur l'industrie musicale. Cette injonction engagerait des artistes, déjà précarisés par les modes actuels de rémunération de la musique en ligne, à se mettre encore plus en danger, à la fois vis-à-vis d'une industrie encore très peu mobilisée, et face à un public prompt à réclamer une parfaite exemplarité de la part des personnalités publiques qui s'expriment. Il s'agit donc bien de faire que l'industrie elle-même conduise sa trajectoire, avec l'aide des artistes, et non pas l'inverse.

La plupart des artistes suivent la dynamique du business-même. C'est-à-dire que si vous devez utiliser un distributeur numérique et un DSP pour diffuser votre musique, vous le ferez. [...] Bien sûr, il faut sensibiliser et éduquer les artistes pour qu'ils aient leur mot à dire et qu'ils changent le système. Mais cela doit également se faire au sein du système lui-même. » Anna Zo, responsable des opérations au Music Innovation Hub

L'ensemble des personnes interrogées tend à s'accorder sur l'idée que les artistes peuvent, dans l'ensemble, contribuer à la médiatisation de ces enjeux, notamment en ce qui concerne la conduite des pratiques des usagers du streaming audio et vidéo. Mais, tandis qu'une majorité de répondant·es estime que les artistes mondialement connus possèdent un poids sur l'industrie et une capacité à conduire ce genre de messages, les manageuses que nous avons rencontrées ont un avis plus modéré.

Les artistes ont un pouvoir fort mais qui se heurte rapidement à des murs, comme l'industrie musicale. Les artistes peuvent dire non à certaines choses, mais n'ont pas toujours le pouvoir de l'imposer. [...] Ça doit venir du comportement des producteurs, des éditeurs aussi mais des labels, et les majors là-dessus ont une responsabilité de premier ordre. » Céline Garcia, manageuse d'artistes, co-fondatrice et directrice Générale de Puppet Master

Il n'est d'ailleurs nullement garanti que ces artistes, qui composent la société, au même titre que les autres citoyen·nes, soient volontaires pour opérer et incarner ces changements.

Je pense qu'il y a un niveau d'accord très superficiel. Mais cela ne concerne pas que les artistes. [...] Si vous demandez à la population en général si elle est prête à faire des sacrifices ou des choix de vie difficiles, je pense que la réponse est non. Je ne veux pas paraître cynique, mais je pense que les réponses individuelles sont très faibles. Elles se situent dans la zone de confort d'un individu et de ses capacités mentales. Et les artistes ne sont pas des écologistes. Ils ont donc souvent été séduits par quelque chose comme une éco-startup qui leur propose je ne sais quoi. (...) Ce n'est donc pas que je ne pense pas qu'au niveau individuel, ils puissent avoir un impact important, et ils l'ont. Mais je pense qu'ils se sentent malgré tout concernés. » Daniel Antal, Data Scientist et cofondateur de Reprex

Si l'on veut faire changer les pratiques des artistes, il faut que celles de leur écosystème changent, et que leur entourage professionnel s'en fasse le relais et le soutien.

L'objectif principal de toute campagne comme celle-ci ou de toute idée visant à apporter un changement devrait toujours faire pression sur les grandes puissances de l'industrie plutôt que d'essayer de convaincre les artistes ». Anna Dungal, équipe événementielle d'Iceland Airwaves et Sena Live et fondatrice d'OK Agency

Je pense que c'est le rôle de chacun d'assumer une part de responsabilité dans ce qu'il fait et de prendre ses marques. Évidemment, en même temps, ce n'est pas leur [les artistes] responsabilité à 100 %. La principale responsabilité incombe à ceux qui fournissent cette technologie. [...] Ce n'est pas à eux de réduire l'empreinte de la façon dont ces applications fonctionnent, mais cela devrait incomber aux créateurs des applications et aux fournisseurs d'accès à Internet. [...] Ce n'est pas aux artistes d'améliorer les pratiques commerciales du secteur de la musique numérique. C'est au secteur de la musique numérique de le faire ». Lewis Jamieson, directeur de la communication et des relations avec l'industrie pour Music Declares Emergency

ESSAI 2 par Camille Pène (co-fondatrice des Augures)

Après avoir traversé la « crise du disque » liée au développement du support numérique et à la distribution de la musique sous forme de fichiers au début des années 2000, l'industrie musicale a su construire, avant toutes les autres industries culturelles, une alliance avec la technologie. Initialement perçu comme une menace envers la création et le droit d'auteur, le numérique est devenu promesse d'innovation, de création et de nouvelles parts de marché pour le secteur. En 2022, les revenus mondiaux de la musique enregistrée ont augmenté de 9 %, atteignant la somme colossale de 26,2 milliards de dollars. Le streaming musical pèse désormais 67 % du total des revenus mondiaux de la musique enregistrée, soit 17,5 milliards de dollars.

Ces chiffres issus du Global Music Report 2023 de l'IFPI témoignent de la vitalité d'une industrie dont le modèle de revenus repose essentiellement sur le streaming. Elle possède cependant des vulnérabilités. La pandémie de la Covid 19 a fortement exposé celles de l'activité du Live, quand les usages numériques, au contraire, en sont sortis renforcés. Aujourd'hui, compte-tenu de leurs impacts environnementaux, c'est le risque écologique qui vient questionner les stratégies de diffusion fondées sur la technologie.

Les professionnel·les de la musique se retrouvent déboussolé·es entre les injonctions contradictoires de croissance et de sobriété, d'innovation et de responsabilité écologique. Comment le secteur peut-il mettre en œuvre une stratégie de sobriété numérique qui respecte les objectifs de réduction d'émissions de GES sans rogner sur la création, l'expérimentation, la rencontre avec les publics ? Quelles solutions adopter pour réduire les externalités négatives du numérique ? À quels usages faudrait-il renoncer ?

Le numérique, une technologie zombie ?

Selon les chiffres publiés récemment par l'ARCEP (Autorité de Régulation des Communications Électroniques des Postes et de la distribution de la presse, France) le numérique représente aujourd'hui 4 % des émissions de GES. Si l'on ne fait rien, l'impact carbone du numérique pourrait augmenter de 45 % d'ici à 2030. Le think tank Le Shift Project souligne que la vidéo en ligne représente plus de la moitié des flux de données mondiaux et plus de 300 millions de tonnes de CO2 par an, la majorité de ces vidéos étant classifiées comme « tubes », soit des vidéos de musique. Ces chiffres, qui ne prennent pas en compte la part des live musicaux sur les réseaux sociaux, engagent la responsabilité forte du secteur musical dans la réduction des émissions de GES liées au numérique.

L'ADEME (Agence De l'Environnement et de la Maîtrise de l'Énergie, France) a récemment revu à la hausse l'évaluation du poids environnemental d'un smartphone, se basant sur les chiffres fournis par les fabricants, étonnamment transparents en la matière. 85 kg de CO2 prennent en compte les émissions liées à la fabrication du smartphone, mais aussi à son recyclage, à son acheminement et à son usage. Ce chiffre inclut la consommation électrique du smartphone durant trois ou quatre années, mais pas le bilan carbone des réseaux de télécommunication qui les relient à Internet, ni des serveurs informatiques de YouTube, TikTok, Instagram et plateformes au travers desquelles l'industrie musicale assoit la diffusion.

Un des enjeux environnementaux majeurs du numérique, outre son empreinte carbone, est la disponibilité des métaux stratégiques et autres ressources utilisées pendant la phase de fabrication des terminaux. Parmi les indicateurs environnementaux pertinents, on peut citer :

  • l'eau : la climatisation et le refroidissement 24/24 des data centers consomment 50 % de leur énergie. On connaît moins leur consommation en eau, à hauteur de 84 millions de litres pour un data center de Microsoft aux Pays-Bas l'été 2022 en pleine pénurie d'eau.

  • le sable : c'est la deuxième ressource la plus exploitée après l'eau, utilisée parmi les composants essentiels à la fabrication des microprocesseurs. Sans lui, pas d'ordinateurs, de téléphones portables, de cartes bancaires, etc. La consommation de sable a triplé ces deux dernières décennies. Sa raréfaction conduit désormais à l'exploitation des océans et des littoraux.

  • les métaux rares : il en faut 40 différents pour un téléphone portable, dont la fabrication nécessite l'extraction de 60 kg de matière première.

Le rapport « Évaluation de l'impact environnemental de la digitalisation des services culturels » (ADEME, novembre 2022) analyse plusieurs scénarios d'usages culturels au travers d'une méthodologie d'Analyse de Cycle de vie et compare de façon systématique un usage « physique » à un usage « dématérialisé », à l'instar « d'écouter de la musique » avec un CD et une plateforme de streaming.

Les conclusions soulignent que les services culturels « numériques » récents sont tout aussi physiques que les services culturels « physiques » historiques : ces services ont besoin d'équipements utilisateurs, d'infrastructures réseaux et de data centers pour pouvoir fonctionner. La matérialité « cachée » est donc tout aussi importante : il n'y a pas eu de « dématérialisation » des impacts mais seulement une digitalisation de certains usages qui étaient « physiques », au sens où un support physique permettait de stocker et lire le contenu. Pour tous les scénarios analysés, la fabrication des équipements représente la part la plus importante de l'impact, pour la majorité des indicateurs environnementaux.

L'écoute de musique en streaming mobilise des terminaux et des infrastructures, et son impact peut être supérieur à l'écoute d'un CD, dès lors que des équipements type enceinte ou matériel Hi-Fi sont mis en œuvre. L'écoute de musique en streaming peut même amener à un suréquipement - casques, enceintes, etc., et donc à des usages plus gourmands en équipements utilisateurs.

Il faut par ailleurs souligner l'effet d'entraînement entre volumes de données et sophistication des terminaux. C'est ce que l'on appelle l'effet rebond : alors qu'une technologie permet de gagner en performance énergétique, elle entraîne naturellement de nouveaux usages. Au cœur de la controverse sur la 5G en France, les expert·es alertaient sur un risque devenu réalité : la qualité du réseau et la rapidité des flux entraînent une augmentation de consommation de données, notamment par l'accroissement du visionnage de vidéos sur mobile.

Une stratégie de sobriété numérique s'impose pour réduire les émissions de GES liées à la fabrication des équipements et aux usages. Dans le secteur de la musique, comme pour l'ensemble des entreprises, elle sera bientôt imposée par les stratégies nationales bas carbone qui transcrivent les orientations de la politique européenne.

Outre le désastre écologique qu'il représente, le numérique pose un problème de soutenabilité, au sens de sa capacité de pouvoir résister au passage du temps. Le numérique est une « technologie zombie » pour reprendre la terminologie du chercheur José Halloy, qui qualifie ainsi la non-durabilité de systèmes techniques voués à disparaître notamment à cause de l'épuisement des ressources naturelles nécessaires à leur fabrication. Les fabricants de systèmes électroniques ont récemment fait face à l'épuisement du silicium consécutif à des épisodes de forte sécheresse à Taïwan. C'est la première crise médiatisée d'une longue série à venir.

Innovation dans la musique et limites planétaires

Or, l'industrie musicale persévère dans une course à l'innovation technologique qui fait fi des limites planétaires. Cette stratégie de développement est à questionner tant du point de vue écologique que du point de vue économique.

Le métaverse

Le métaverse est l'objet de nombreux investissements privés comme publics dans le secteur musical. Emmenée par le musicien Jean-Michel Jarre, la commission du CNC (Centre national du cinéma, France), dédiée à la promotion de formats de création immersive et au métaverse, est dotée par l'État français de 3,6 millions d'euros. S'inscrivant à la suite des concerts de Travis Scott sur Fortnite ou Alonzo sur GTA, de nombreuses start-up parient sur le potentiel des concerts virtuels, comme Ristband ou Vroom pour ne citer qu'eux.

Or, si le métaverse est un monde virtuel, il s'accompagne d'une réalité bien matérielle. Il peut s'appuyer sur la technique de streaming vidéo UHD en VR qui, selon une prévision de Cisco, multiplierait par 30 les besoins en bande passante sur les réseaux par rapport aux techniques actuelles du cloud gaming. Pour répondre à ce besoin croissant de bande passante, il est nécessaire d'adapter les infrastructures réseaux - mettre en place la 6G par exemple.

Outre la consommation énergétique des réseaux, le développement du métaverse s'accompagne de nouveaux matériels et périphériques comme les casques VR, voués à une obsolescence culturelle et technique stimulée par les progrès techniques. C'est l'occasion de rappeler que 82,6 % des déchets du numérique n'étaient ni collectés ni recyclés en 2019.

Les NFT

Les NFT ("Non Fungible Token") concentrent aussi une part des investissements de l'industrie musicale. Du côté des labels, les NFT font l'objet de nombreuses expérimentations avec l'objectif d'identifier des audiences plus qualifiées, plus engagées, des « super fans » en quelque sorte. C'est également un excellent moyen de communiquer avec les auditeur·rices les plus actif·ves et de récompenser celles et ceux qui s'impliquent dans la carrière de leurs artistes préféré·es.

Pour les artistes, l'authentification de ces objets numériques par la blockchain contient la promesse de pouvoir reprendre le contrôle sur leurs contenus et d'interagir directement avec leurs communautés pour les engager plus fortement en instaurant des relations décentralisées et en supprimant les intermédiaires.

Or, un système de machinerie très puissant capable d'effectuer des calculs très complexes est nécessaire afin de produire des NFT. Ces "processeurs de minage" consomment environ 91 térawattheures d'électricité par an, soit environ la consommation de la Finlande.

L'IA générative

L'IA est capable désormais de générer seule des contenus, sur la base d'un « prompt », une commande en langage naturel. Ces outils, à l'instar de Chat GPT, Midjourney ou Music LM pour n'en citer que quelques-uns, sont très faciles d'accès et génèrent des images, des vidéos, des slides et des audios de façon très fluide et rapide.

Différents domaines, réservés auparavant à des graphistes, designers ou artistes, sont désormais accessibles à un nombre important de personnes sans compétence technique. Mais la conséquence est la même que celle produite par les plateformes no code qui permettent de créer des logiciels sans coder la moindre ligne. Le fait de rendre une technologie plus accessible, en diminuant sa complexité technique, en faisant diminuer son temps de production, ou en augmentant l'efficacité avec laquelle une ressource est employée, favorise sa propagation. C'est l'effet rebond de l'innovation : l'amélioration technologique entraîne l'accroissement de la consommation de ressources.

Il faut aussi mettre en exergue la face cachée environnementale des calculs requis par l'IA générative. Il n'y a aucun chiffre sur le nombre de requêtes Midjourney ou Dall-E aujourd'hui (si on se concentre uniquement sur l'IA générative visuelle). META, la société mère de Facebook, a récemment dévoilé le lancement d'AudioCraft, une intelligence artificielle générative axée sur la musique. Cet outil vise à offrir au grand public la possibilité de créer facilement des éléments audio pour enrichir divers projets. Il s'ajoute ainsi aux autres applications déjà disponibles, telles que SongR ou MusicGen. Le secteur musical et les créateur·rices de musique sont donc concernés au premier chef.

L'absence de politiques de sobriété numérique

Tout en rêvant de technologie, le secteur musical prend conscience tant de sa responsabilité que de sa vulnérabilité face à la crise écologique. Les phénomènes climatiques extrêmes, tels les orages violents ou les canicules, conséquences du dérèglement climatique, sont la cause de l'annulation d'un certain nombre de concerts et festivals. C'est une réalité ancienne mais dont le public a pris la mesure lors de l'été 2022.

Dans le sillage de collectifs à l'instar de Music Declares Emergency, qui alertent depuis des années, les organisateurs d'événements et gérants et gérantes de salles appliquent d'ores et déjà des engagements pour réduire les déchets, végétaliser l'alimentation, réduire les consommations d'énergie et décarboner les mobilités. En France, la salle de concert l'Aeronef à Lille ou le festival des Transmusicales de Rennes figurent parmi les plus déterminés, sans toutefois s'attaquer au sujet de l'empreinte environnementale du numérique.

Les labels, davantage concernés, se gardent de tout commentaire sur les impacts du numérique. Les acteurs de la vidéo et du streaming mettent en place des mesures d'atténuation sans pour autant réfléchir à l'adaptation de leur modèle. TikTok présente sur son site la démarche Let's Go Green with TikTok et affiche le pourcentage de vidéos qui traitent des enjeux environnementaux, sans revendiquer la moindre politique interne de réduction de ses émissions. YouTube, filiale de Google, annonce que « chaque vidéo YouTube visionnée ne cause aucune émission de (ses) centres de données Google ». Mais si YouTube affiche un score « zéro net », c'est grâce à sa politique de compensation carbone, la société achetant des crédits carbone pour compenser sa consommation d'électricité. Elle a émis 5,75 milliards d'obligations vertes sur les marchés pour financer des projets contribuant à la transition écologique et est l'un des plus grands acheteurs d'énergie renouvelable au monde. L'obligation verte est un emprunt émis sur les marchés financiers par un « émetteur » (entreprise, collectivité, État). Elle se distingue d'une obligation classique en ce qu'elle finance exclusivement des projets favorables à l'environnement (milieux, écosystèmes). La politique de compensation de Google masque l'absence de données publiées sur la consommation d'énergie réelle et sur ses émissions de GES. Le site de Spotify est muet sur le sujet de l'écologie. Deezer travaille sur l'efficacité énergétique de ses serveurs et la réduction de contenus audio disponibles. Mais les offres d'abonnement continuent de mettre en avant un accès illimité à des millions de titres. Cet argument publicitaire s'inscrit à contre-courant de la contrainte que nous imposent les limites planétaires.

Du côté des artistes, les positions sont disparates. Dans son article publié sur le média français engagé Bon Pote, Samuel Valensi, coordinateur du rapport « Décarboner la culture » du think tank The Shift Project évoque la question « Peut-on séparer le bilan carbone de l'artiste ? » et pointe du doigt les imaginaires très carbonés véhiculés par les stars, à coup de méga concerts et de vols en jets privés. Certains, à l'image de ceux réunis dans le collectif The Freaks, s'engagent pour réduire leurs émissions carbone, mais aucun n'aborde toutefois le sujet de l'impact du numérique.

Les croyances numériques du secteur

Si les répercussions environnementales du numérique restent largement ignorées et que les investissements se poursuivent, cela découle, à notre avis, des convictions profondément ancrées à l'égard de cette technologie.

Remplaçant tous les intermédiaires, tous les métiers et toutes les expertises, le numérique permettrait aux artistes de se faire connaître seuls, d'assumer leur diffusion, de toucher tous les publics, y compris la cible des jeunes, de renouveler et d'augmenter l'expérience musicale...

Les innovations technologiques se succèdent et les innovations s'amoncèlent, mais les promesses restent les mêmes depuis la mise sur le marché de l'iPhone jusqu'au récent engouement suscité par le métaverse.

Pour les fans, la croyance est celle d'accéder, au travers des plateformes voire des NFT, à un rapport plus direct, plus intime à l'artiste admiré. Pour les labels, l'enjeu reste avant tout de défricher de nouvelles parts de marché. En dépit des ruptures annoncées, les modèles sont restés les mêmes. Le mythe de la longue traîne a fait long feu et les labels restent en position de domination sur les artistes.

La dernière promesse en date du numérique est celle de décarboner. Le numérique serait une solution écologique qui éviterait des déplacements grâce à la retransmission de concerts, ou qui dématérialiserait la communication autrefois fondée sur des supports papiers. Or, dans une situation comme dans l'autre, l'usage numérique ne se substitue pas à un usage antérieur. Il s'y additionne, augmentant ainsi les émissions carbone. Ce n'est pas parce que les concerts sont diffusés en vidéo que les artistes et les fans ne se déplacent plus. Ce n'est pas parce que la communication s'opère via les plateformes que les bilans carbone diminuent. Là encore, c'est une promesse non tenue par le numérique qui devrait engager le secteur à questionner ses connaissances et croyances technologiques.

Vers une innovation low tech dans la musique ?

Il ressort de l'étude ADEME-ARCEP que le premier levier d'action pour limiter l'impact du numérique est la mise en œuvre de politiques de sobriété numérique qui commencent par une interrogation sur l'ampleur du développement des nouveaux produits ou services et une réduction ou stabilisation du nombre d'équipements. L'allongement de la durée de vie des terminaux, via la mise sur le marché d'équipements éco-conçus, en développant davantage le reconditionnement et la réparation des équipements et en sensibilisant les consommateur·rices à ces impacts pour viser plus de sobriété est un axe majeur de travail.

Pour le secteur de la musique, le premier volet de la mise en œuvre d'une politique de sobriété numérique consiste à former les acteur·rices, artistes, producteurs et fans, aux impacts des services numériques et, plus encore, aux infrastructures et terminaux. Il s'agit de cesser d'encourager la production de contenus de plus en plus volumineux qui nécessitent des machines et périphériques nouveaux.

Le cœur d'une démarche d'éco-conception est, avant même d'appliquer les bonnes pratiques d'éco-conception numérique en simplifiant les interfaces, de questionner le besoin et d'éviter des impacts en renonçant à produire un service ou un outil qui ne répond pas au moins à trois des objectifs de développement durable de l'ONU.

La musique est nécessaire au bonheur sur cette terre et le secteur remplit en soi une fonction sociale essentielle en organisant la rencontre entre la musique et le public. Mais n'est-il pas possible de rouvrir les imaginaires de l'innovation dans la musique en mode low tech : ouverte, résiliente, partagée et réparable ?

Les expérimentations low tech dans la musique existent

En France, le festival Sarcus, aujourd'hui disparu, se démarque par son engagement à limiter la capacité d'accueil à 3000 festivaliers, à s'engager à ne pas faire voyager les artistes en avion, à proposer une alimentation végétarienne et locale provenant d'un rayon de 150 km, et à encourager la déconnexion en imposant aux festivaliers de laisser leurs téléphones à l'entrée.

Côté supports d'enregistrement, la société britannique Evolution a récemment annoncé avoir fabriqué le premier vinyle à base de canne à sucre. Les Français de Diggers Factory produisent, vendent et distribuent des vinyles pressés on demand en quantité limitée et collaborent avec des fournisseurs de matériaux et logistiques responsables, démarche que l'équipe fondatrice qualifie de « direct pressing green ». Les disques sont fabriqués à partir de granulés de vinyle à base de calcium-zinc, un matériau propre et recyclable tandis que les packagings sont imprimés à l'encre végane.

Resonate.coop, une plateforme alternative à Spotify, a structuré un modèle de gouvernance coopératif et responsable auquel participent artistes, usagers et salarié·es.

Pour donner plus d'ampleur à cette démonstration que des modèles alternatifs sont possibles, le secteur de la musique doit travailler collectivement à des solutions mutualisées, en mettant au cœur de la démarche les artistes dont la capacité à proposer de nouveaux imaginaires est cruciale à tout renouveau.

Sources :

Camille Pène

Codesigner et historienne de l'art, Camille Pène accompagne les organisations culturelles afin de répondre aux défis des transitions numérique, sociale et écologique, en concevant des dispositifs de formation, de recherche et d'innovation collaborative.  Depuis avril 2020, elle accompagne les acteurs culturels dans leur transition écologique, dans leur capacité d'adaptation et d'innovation au sein du collectif Les Augures. Elle collabore notamment avec le Palais de Tokyo, le Cnap, l'Orchestre national d'Ile-de-France, le ministère de la Culture, la Scène nationale Châteauvallon Liberté... Experte des enjeux de sobriété numérique dans la culture, elle anime le programme de recherche-action " Augures Lab numérique responsable dans la culture " avec le studio Ctrl S. Auparavant, elle a travaillé 10 ans dans le secteur du soutien à l'innovation technologique pour les territoires et les industries culturelles et créatives, au sein de structures telles que La 27e Région, Paris & Co et Cap Digital, notamment en tant que directrice des festivals " Futur en Seine " et " Futur.e.s in Africa ". Elle a également travaillé comme assistante d'exposition pour le MoMA, le Louvre ou la Fondation Cartier. 

Partie 2 : Actions identifiées

La rubrique Actions identifiées de ce document propose une exploration des différentes solutions et alternatives numériques disponibles en matière de production musicale, de communication et de gestion de son activité artistique. Celles-ci sont mobilisables par tou·te·s musicien·nes et leur entourage souhaitant reconsidérer ses pratiques numériques.

La sobriété numérique pour tous les jours

Nous ouvrons cette partie « boîte à outils » par une introduction aux bonnes pratiques numériques pour un usage quotidien. Ces conseils, s'ajoutant à la réduction de la consommation des usages numériques, s'appliquent à un usage privé ou professionnel, les deux étant souvent similaires. Ces gestes peuvent être rapides et simples à mettre en place tout en ayant des bénéfices intéressants : vie privée, lutte contre l'obsolescence, éducation numérique. Cette première étape peut également faciliter la prise de contact avec des associations et collectifs qui permettront d'aller plus loin dans cette démarche, tout en politisant le sujet. C'est une façon de contrer la solitude des écrans et de créer des synergies intéressantes. Les artistes ont un rôle important à jouer, en participant à des collectifs et en les soutenant.

Cette liste est organisée par ordre de simplicité de mise en œuvre. Certaines solutions s'apparentent plus à une amélioration de la vie privée ou à l'utilisation de logiciels libres. Ce n'est pas toujours le cas, mais sobriété, vie privée et logiciels libres vont souvent dans la même direction. L'accès au code source et le pouvoir de participer au développement d'un logiciel permettent d'orienter son évolution vers plus de sobriété. Nous n'avons pas ce pouvoir avec les logiciels propriétaires qui ont le plus souvent une logique commerciale de renouvellement de licences payantes, entraînant une demande accrue de puissance informatique. De plus, ces alternatives présentent souvent une plus forte interopérabilité, ce qui évite l'effet d'enfermement et de dépendance que l'on retrouve dans les logiciels propriétaires. C'est un élément central de la durée de vie des appareils électroniques. Face à la non-prise de conscience de la pollution numérique et à la faible proposition de sobriété des acteurs du numérique dominant, nous devons reprendre le contrôle sur les outils pour développer des solutions plus sobres. À noter, qu'il n'est pas nécessaire d'être un·e développeur·se pour participer aux projets de logiciels libres : tester et faire des retours, partager, former, sont des aides précieuses pour les communautés qui développent ces alternatives.

Et si je n'ai rien à cacher ?
On entend souvent cette phrase pour justifier que la collecte de données n'est pas vraiment un problème. Il faut garder en tête que si vous pensez ne rien avoir à cacher, vos proches ont peut-être des informations à protéger, qui peuvent se retrouver exposées par des logiciels ne respectant pas votre vie privée. Des données collectées aujourd'hui ne représentent peut-être pas une menace immédiate pour vous, mais il est difficile de prévoir qui exploitera ces données dans 10 ans et dans quel but. En outre, face à la hausse des piratages informatiques, limiter la collecte de données reste une sécurité supplémentaire. Nous recommandons la page je n'ai rien à cacher pour mieux comprendre le risque de laisser fuiter des données sur le long terme. Un autre enjeu, non évoqué dans ce documentaire, est celui de l'utilisation et du stockage à répétition de nos données. Celles-ci consomment de l'énergie et pourront être utilisées dans de nombreux cas, eux-mêmes consommateurs de données (publicités ciblées, surveillance, statistiques, etc.). Elles sont par ailleurs majoritairement utilisées à des fins publicitaires et nourrissent nos habitudes de consommation. En bref, une donnée non collectée est forcément la solution la plus économe en énergie.

Ces propositions ne sont pas exhaustives, et présentent un intérêt en matière de :
Réduction de l'impact énergétique 🌿
Réduction de la consommation énergétique à l'usage, augmentation de la durée de vie des appareils, lutte contre l'obsolescence.
Contribution à la justice sociale et au militantisme ⚖️
Rémunération juste, gratuité, accessibilité à tou·tes sans barrière, lutte contre la discrimination.
Protection de la vie privée 🔎
Protection des données privées, limitation de la collecte de données.
Amélioration de la sécurité 🔒
Sécurité en ligne des utilisateur·rices.
Facilitation de l'apprentissage 📖
Facilité d'utilisation ou d'apprentissage.

Le navigateur

Un navigateur est un logiciel central dans nos usages quotidiens, Internet étant désormais au cœur de nos pratiques numériques. Il semble donc pertinent de commencer à réduire notre consommation via cet outil. Nos propositions participent davantage à l'amélioration de la vie privée, mais le fait de limiter la collecte de données et de bloquer les publicités permet de réduire le poids des pages et donc la consommation de notre navigation, même si cela reste limité.

Il est important d'éviter l'usage de Google Chrome, Microsoft Edge ou Safari, connus pour peu respecter la vie privée de leurs utilisateur·rices67. Firefox est un navigateur qui offre plus de possibilités pour limiter le traçage et protéger la vie privée. Firefox focus est une bonne alternative sur smartphone. Librewolf est une version de Firefox préconfigurée avec des paramètres de sécurité, mais qui peut empêcher certains sites de fonctionner (certainement en raison d'un trop grand nombre de requêtes bloquées).

L'accueil du site LibreWolf

En plus d'un changement de navigateur, il peut être intéressant d'installer des extensions sur Firefox afin d'augmenter la sécurité et de protéger la vie privée :

  • uBlock Origin bloque les publicités, ce qui réduit le poids des pages (par défaut sur LibreWolf),

  • low---web réduit automatiquement la qualité des vidéos,

  • HTTPS Everywhere force une connexion sécurisée,

  • ClearURLs empêche le tracking via les URLs,

  • Privacy Redirect redirige les sites des GAFAM vers des alternatives plus respectueuses.

À titre d'exemple sur l'impact du blocage des publicités, une simple comparaison sur un site grand public permet de noter une différence marquée : pour un site de presse comme billboard.com, en ouvrant la page d'accueil le 04/10/2023, nous obtenons :

  • Sans bloqueur de publicités : 17 MB de données transférées,

  • Avec un bloqueur de publicité : 9 MB.

Ce constat est similaire pour de nombreux sites web grand public. La publicité et la collecte de données sont les principales raisons de cet écart. Il existe des guides plus détaillés que vous pouvez consulter en ligne comme Gofoss, PrivacyTools et le Wikilibriste pour approfondir ce sujet.

Les associations et collectifs à la rescousse

Une fois le navigateur configuré, il convient de faire attention aux services en ligne utilisés et aux sites que l'on visite. Dans la mesure du possible, il est préférable d'éviter les services des GAFAM. Nous traiterons plus loin des réseaux sociaux, mais que ce soit pour stocker, partager, ou éditer des fichiers, envoyer des mails, collaborer, il est préférable de privilégier des services plus éthiques. Ces derniers ne collectent pas vos données, ce qui limite la consommation énergétique de la navigation et évite des usages détournés qui eux-mêmes entraînent des données supplémentaires (publicités, spams, intelligence artificielle).

Il existe de nombreuses associations et collectifs qui proposent des services alternatifs à Google Drive ou à Microsoft Teams : l'Autre Net (France), la Contre-Voie (France), Devol (Italie), Disroot (Pays-Bas), Indiehoster (France), Nubo (Belgique), Ouvaton (France), Systemli (Allemagne), Zaclys (France) et bien d'autres à découvrir notamment avec des listes comme celle proposée par le collectif français des Chatons. Toutes ces initiatives proposent des services (certains gratuits, d'autres payants mais à un prix raisonnable) qui offrent des alternatives viables pour un usage privé ou professionnel. L'association Framasoft a lancé le mouvement des Chatons pour encourager la multiplication de services alternatifs par différents acteurs. Cette logique d'essaimage est vitale, car à la place de géants du web trop puissants, nous avons besoin d'une multitude d'acteurs offrant une liberté de choix.

Même lorsque les services sont gratuits, nous recommandons de faire un don lorsque cela est possible, afin de soutenir les associations qui reposent en partie sur du travail bénévole. À noter qu'il est possible en tant qu'artiste d'aider à la promotion de ces services pour créer un cercle vertueux. Un autre avantage de cette démarche est l'aspect éducatif. Ces collectifs proposent souvent de la documentation, des rencontres, des formations et événements qui permettent de mieux comprendre le numérique et ses enjeux et d'apprendre l'usage d'alternatives éthiques. Cette éducation populaire crée un environnement propice qui nous permet de réfléchir et d'appréhender le numérique collectivement plutôt que de le subir. N'hésitez pas à les contacter pour vous faire accompagner, notamment si vous effectuez ce changement pour un groupe, un collectif ou une entreprise.

Outre les Chatons, il existe de nombreux portails en ligne pour trouver plus d'associations et de lieux qui font la promotion de logiciels éthiques et de l'éducation populaire. Par exemple :

Ces associations proposent souvent des alternatives pour les usages que nous présentons ci-dessous.

Les moteurs de recherche

Nous avons pris l'habitude d'avoir des résultats très personnalisés, mais cela se fait au détriment de notre vie privée. Le monopole du moteur de recherche de Google devrait nous amener à être prudents, n'étant pas à l'abri de décisions arbitraires de la part de l'entreprise qui pourraient rendre la pertinence des résultats plus que discutable. C'est déjà en partie le cas, notamment avec l'augmentation de résultats publicitaires avec l'intégration de l'intelligence artificielle68. DuckDuckgo et StartPage sont des moteurs de recherche qui ne font pas de collecte de données personnalisée. Leurs résultats peuvent certes être moins pertinents, mais évitent le ciblage publicitaire personnalisé, une perte de contrôle sur nos données et l'effet de bulle informationnelle. Des associations proposent aussi des services de moteur de recherche comme Zaclys. Changer nos habitudes de recherche, c'est accepter qu'il faille parfois chercher plus pour obtenir les résultats attendus. D'autres habitudes peuvent aider à réduire l'impact énergétique de vos recherches : vous pouvez ainsi utiliser les favoris (ou marque-pages) pour enregistrer les sites que vous visitez le plus. En effet, cliquer sur un favori consomme moins d'énergie que d'effectuer une recherche.

Le courrier électronique

Le courriel est un exemple frappant de la force des GAFAM à accaparer une technologie ouverte. Une adresse électronique peut communiquer avec une autre sans barrière. Vous pouvez envoyer un mail depuis Gmail à votre collègue qui utilise Orange. La force de Hotmail/Outlook, Gmail, Apple Mail a été de nous faire passer par leur compte de messagerie pour utiliser un service normalement disponible universellement. Si vous utilisez Gmail, le deuxième plus répandu69, Google a la possibilité de récolter des données sur vos habitudes70 (d'où l'offre gratuite) et de vous afficher de la publicité71. L'entreprise peut également décider du jour au lendemain si nous pourrons toujours accéder à nos mails ou non72, ou de rendre payant ce service. Dans le cas d'un monopole, le prix peut très bien être abusif (comme cela a par exemple été le cas pour Google Maps73), ou des projets peuvent être arrêtés sans véritable prise en compte des utilisateur·rices74. Pourtant l'envoi d'un mail peut facilement se faire en dehors de Google, Microsoft ou Apple. De même, en utilisant Outlook par exemple, je force mes destinataires à envoyer des données à Microsoft. Il existe cependant de nombreuses alternatives qui peuvent être gratuites et surtout plus éthiques.

Mailbox est une boîte de messagerie sécurisée développée en Allemagne dont le financement se fait uniquement par des offres payantes. Tutanota, hébergée aussi en Allemagne, propose une interface accessible et ergonomique qui permet de chiffrer ses emails. La sécurité est la priorité de cette entreprise qui défend la vie privée. Le financement se fait principalement via des offres payantes, mais il existe une offre gratuite. Disroot est un service militant de comptes de messagerie gratuits, ainsi que d'autres services en ligne. Encore une fois des associations proposent des accès à des solutions plus éthiques, tel les Chatons permettant d'avoir une liste de services disponibles.

Les Chatons permettent de facilement trouver un service plus éthique

La dernière option, plus technique, consiste à acheter un nom de domaine et à créer un compte de messagerie dédié. Si la majorité des hébergeurs propose ce service, il est recommandé de se faire accompagner dans cette transition. Tous ces services sont accessibles via un navigateur ou une application. Il est important de choisir une application qui évite l'envoi de données vers les GAFAM, et donc d'éviter les interfaces ou logiciels Gmail, Outlook et Mail d'Apple. Il existe d'autres alternatives pour gérer ses mails :

D'autres habitudes peuvent aider à réduire l'impact énergétique des courriels :

  • Limiter le nombre de mails envoyés reste la solution la plus simple,

  • Éviter les pièces jointes lourdes, les compresser ou les envoyer avec un service de partage comme Swiss Transfer (alternative éthique à Wetransfer),

  • Couper les notifications,

  • Éviter l'abonnement à trop de newsletters,

  • Bloquer les spams,

  • Écrire ses mails au format texte au lieu de HTML,

  • Supprimer les mails non nécessaires.

Agir sur les mails reste un geste individuel. Il ne permet pas d'avoir un effet de masse significatif sur la pollution numérique, mais le bénéfice sur la vie privée vaut la peine d'effectuer ce changement. Cela représente également une étape facile pour imaginer un numérique plus libre et éthique.

Les logiciels

Il existe des opportunités en dehors du web pour limiter la consommation de nos logiciels, permettre l'amélioration de la protection de notre vie privée et éviter des problèmes de compatibilité. Un logiciel libre a pour avantage majeur d'être plus durable car il est généralement plus simple de le rendre compatible avec des machines anciennes. Ce n'est pas le cas des logiciels propriétaires qui poussent à leur renouvellement régulier par de nouvelles versions et par l'achat de nouvelles licences. En outre, de nombreux logiciels propriétaires se connectent à Internet pour transmettre des données et sont parfois inaccessibles sans connexion.

La bureautique

LibreOffice permet de remplacer les outils de traitement de textes comme la suite Microsoft Office ou iWork. De nombreux guides de prise en main existent, le guide officiel étant un bon départ. Dans ce domaine également, l'éducation populaire via des collectifs est une très bonne porte d'entrée pour se former. Si vous avez l'habitude des suites bureautiques propriétaires, la différence n'est pas si importante et leurs fichiers fonctionnent sur LibreOffice, même s'il peut y avoir des changements minimes dans les formats, qui ne posent pas de problèmes dans la majorité des cas.

Le graphisme et les images

Les logiciels libres proposent désormais de nombreuses alternatives aux outils graphiques propriétaires. Ce marché est principalement dominé par Adobe75, qui n'est pas considéré comme un géant du web (GAFAM), mais partage les mêmes valeurs que ces derniers (collecte de données, failles de sécurité76, création de monopole77, tarification à la hausse). Là aussi, les alternatives libres fonctionnent pour une majorité d'usages amateurs ou professionnels. Comme souvent avec les outils graphiques, il s'agit davantage d'une question de changement d'habitude que d'une mise en cause du logiciel. Vous trouverez tout le nécessaire pour produire des visuels professionnels avec ces logiciels :

L'objectif ici n'est pas de proposer un guide complet pour ces logiciels, car ils offrent beaucoup de possibilités, et leurs sites et communautés respectives apportent une aide précieuse pour se lancer.

L'audio et la vidéo

La vidéo consomme plus de bande passante que les autres médias, mais il existe plusieurs techniques pour en limiter l'impact :

  • Limiter la résolution des vidéos,

  • Utiliser des alternatives aux plateformes comme YouTube (avec une extension comme Privacy Redirect, FreeTube ou Peertube),

  • Éviter d'utiliser la vidéo pour écouter de la musique avec par exemple Youtube audio only,

  • Limiter le streaming. Si vous regardez une vidéo plusieurs fois, il est préférable de le faire localement et de télécharger la vidéo78,

  • Éviter de regarder des vidéos sur une connexion 3G, 4G ou 5G. Une connexion Wi-Fi ou filaire est préférable,

  • Désactiver la lecture automatique,

  • Compresser les vidéos que vous publiez.

En ce qui concerne la compression, un outil comme Handbrake (guide) permet d'obtenir un résultat satisfaisant. Il existe globalement peu de cas où une vidéo haute-définition est nécessaire. Il est donc important de compresser les fichiers vidéo avant de les mettre en ligne. Du côté de la production, il existe des alternatives libres qui permettent d'éviter les frais de logiciels de montage souvent coûteux, comme Kdenlive ou OpenShot. À noter que pour des effets plus poussés, Blender, devenu de plus en plus puissant, est désormais utilisé par des studios professionnels79.

Les recommandations sont identiques pour les fichiers audios. La compression, lorsque l'usage le permet, est une option à privilégier. Dans le cas du streaming, il existe sur la majorité des plateformes (Spotify, Deezer, Youtube Music, Apple Music, Tidal, Qobuz) un mode « hors connexion » qui permet d'éviter de recharger un morceau entièrement à chaque écoute. Il est aussi possible de diminuer la qualité sonore sur les plateformes d'écoute type Deezer ou Spotify. Ce dernier propose également un mode « économiseur de données » qui masque les effets vidéos, les extraits audios et vidéos sur la page d'accueil et définit la qualité audio sur faible. Que ce soit pour la vidéo ou l'audio, il est préférable de regarder ou d'écouter un média en local, c'est-à-dire de le télécharger, idéalement via une connexion filaire ou Wi-Fi.

Le streaming et le téléchargement sont souvent considérés comme deux processus distincts, or, dans les deux cas, un fichier est téléchargé. Le streaming correspond au téléchargement d'un contenu avec une lecture en continu. Autrement dit, il permet de commencer la lecture du fichier pendant son téléchargement. Cette distinction est très bien décrite dans la BD Grise Bouille de Gee : un point sur le streaming.

La messagerie

Ce point sur la messagerie mérite un petit rappel historique afin de comprendre pourquoi il est important de valoriser des systèmes décentralisés et libres. Beaucoup de messageries populaires étaient basées sur un protocole de communication appelé XMPP (Extensible Messaging and Presence Protocol). MSN (messagerie de Microsoft populaire dans les années 2000), Hangout (Google), Messenger (Facebook/META) ont été bâtis sur ce modèle. XMPP fonctionnait comme les mails, c'est-à-dire que des utilisateur·rices utilisant des services hors de ce protocole pouvaient communiquer ensemble. Les géants du web, après avoir acquis assez d'utilisateur·rices, ont modifié leurs protocoles pour « enfermer » ces derniers dans leur système, et ce afin de créer des monopoles. D'où l'importance que nous donnons aux services ouverts qui laissent le choix80 et permettent de proposer des alternatives plus sobres et éthiques.

Dans la mesure du possible, il serait préférable d'éviter des services comme Facebook Messenger, WhatsApp81 (appartenant à Facebook/META) et Telegram. Ces services appartiennent à des entreprises centralisées qui collectent des données, et auxquelles il est difficile de faire confiance. Tout comme c'est le cas avec les réseaux sociaux, il est difficile de changer ses habitudes, en particulier lorsque le cercle familial, amical ou professionnel utilise également ces outils. Signal est une initiative basée sur une solution plus respectueuse de la vie privée et développée par une fondation et non une entreprise. Elle est souvent l'application la plus recommandée, même si elle présente le même défaut que toutes les applications les plus populaires : la centralisation. L'équipe de Signal pourrait très bien changer de politique de confidentialité et commencer à collecter des données. Il existerait alors peu d'options pour changer d'application et trouver une alternative.

DeltaChat est une messagerie qui repose sur les mails. L'interface est similaire à celle d'une messagerie, ce qui facilite une communication rapide. L'avantage d'utiliser les mails est que l'on peut communiquer avec les utilisateur·rices de DeltaChat, mais aussi avec toutes les personnes qui ont un mail. D'autres alternatives décentralisées sont en développement comme Briar et Cwtch et méritent d'être testées, même si elles ne comptent encore que peu d'utilisateur·rices. L'occasion peut-être d'inviter votre entourage ou votre communauté à vous y rejoindre.

La cartographie et la navigation

OpenStreetMap est un outil de cartographie collaborative : c'est un peu le Wikipédia des cartes. Les données sont ajoutées et mises à jour par une communauté internationale grâce à une licence libre. Nous avons mentionné plus haut le changement de modèle économique de Google Maps qui a rendu son utilisation coûteuse pour de nombreuses entreprises et surtout pour les institutions publiques82. Cette application est également un outil de collecte de données et génère des publicités ciblées. L'usage d'OpenStreetMap permet de se réapproprier ses données tout en offrant une vision plus collaborative de la cartographie.

Des guides en ligne permettent de l'appréhender mais aussi de participer à son édition. Comme souvent, il existe des collectifs et associations qui peuvent faciliter la prise en main et organisent des événements de cartographie.

Les mots de passe

Les risques de piratage ne cessent d'augmenter avec l'accélération de la numérisation de nos usages et de nos sociétés. Apprendre à sécuriser ses comptes, avoir les bons réflexes pour anticiper des attaques (phishing, virus, etc.) est devenu primordial. Cette recommandation n'est pas nécessairement en lien avec la sobriété numérique et la vie privée, mais cela reste un rappel important afin de permettre à chacun·e de bénéficier d'un numérique plus sûr.

La CNIL a mis en ligne un article qui résume très bien la nécessité d'avoir un mot de passe solide pour sa sécurité. En plus des mots de passe, nous recommandons la lecture du guide hygiène numérique de la CNIL, afin d'aider à mieux prévoir les différents risques sur Internet (cyberharcèlement, phishing, etc.).

Enfin pour faciliter la gestion, un gestionnaire de mots de passe est fortement recommandé :

Vous pouvez aller plus loin avec la double authentification (code de sécurité en plus d'un mot de passe), possible avec une application comme Aegis. Encore une fois, il est préférable de rencontrer des associations et collectifs pour se faire aider à sécuriser sa vie en ligne.

Le site internet et l'auto-hébergement

Nous avons évoqué de nombreux services en ligne proposés par des associations, reposant principalement sur des logiciels libres comme GNU/Linux. Avec des connaissances techniques et un accompagnement, vous pouvez installer vos propres services sur votre serveur. Par exemple, les services de stockage en ligne reposent souvent sur le logiciel Nextcloud (équivalent de Google Drive). Il est possible de télécharger ce logiciel qui offre un maximum de contrôle à son utilisateur·rice et de l'installer soi-même sur un serveur. C'est une étape assez avancée, que l'on peut se fixer comme objectif sur le long terme. Par ailleurs, Yunohost est un logiciel qui permet de facilement auto-héberger des services en ligne avec un guide complet. Des services dédiés à la musique comme Ampache ou Funkwhale peuvent également être auto-hébergés.

L'exemple de Peertube et Ampache.
Plusieurs groupes et associations ont décidé de reprendre le contrôle sur la diffusion de leurs musiques et contenus vidéos. Le CEM (Centre d'Expressions Musicales) ou Slowfest ont par exemple mis en place le logiciel Peertube sur des serveurs en remplacement de Youtube afin de diffuser leurs activités.

L'intérêt d'avoir une plateforme ou un site web auto-hébergés est de ne pas dépendre uniquement d'un service tiers tels que les réseaux sociaux ou les plateformes de création de sites (Wix, Webflow, Weebly, etc.). À tout moment, les conditions d'utilisation de ces services peuvent changer et il est possible de voir sa présence en ligne s'écrouler rapidement83. Plusieurs raisons existent : piratage de compte (les GAFAM sont très peu enclines à aider leurs utilisateur·rices), changement de règles, bannissement et censure84. Un changement de politique tarifaire peut aussi advenir de manière inattendue avec ces services. Un site Internet est comme votre maison en ligne85 et il vous appartient de mieux le contrôler sans dépendre d'une entreprise centralisée. Reste le problème de la mise en place technique et du coût. Ici encore, il existe des associations qui proposent des outils et des accompagnements. Réaliser un projet de site Internet avec des indépendant·es ou avec une agence web est souvent plus coûteux, mais le résultat sera plus personnalisé. Une autre option trop rarement imaginée est celle de partager les coûts entre artistes pour posséder un site web commun. Il est aussi important de se rapprocher de prestataires qui intègrent les bonnes pratiques en termes d'accessibilité et d'éco-conception.

Pour aller plus loin

Il est recommandé de se faire accompagner pour éviter de se perdre dans toutes les options possibles, mais si vous souhaitez aller plus loin, vous trouverez de l'inspiration via ces liens :

Prendre conscience de ses usages du numérique

Prendre conscience de nos usages numériques et de leurs conséquences est une étape importante pour essayer de réduire ces usages à l'essentiel. L'utilisation du numérique est devenue omniprésente, alors que ses conséquences néfastes sont bien documentées86. Comprendre les ressources nécessaires pour faire fonctionner le numérique, c'est intégrer l'impact environnemental de la production et de l'usage de nos appareils, afin de pouvoir faire le tri entre les services utiles et superflus. Le questionnement des usages est un point de départ indispensable pour démarrer ce processus.

Comprendre les enjeux de manière participative et ludique
La fresque du numérique est une très bonne introduction pour appréhender l'infrastructure numérique et ses conséquences sur notre planète. Le jeu Econ[u]m est quant à lui orienté vers le passage à l'action pour un numérique plus responsable.

Hormis les outils que nous utilisons, nous pouvons prendre des habitudes qui permettent de moins solliciter les appareils électroniques, ce qui a pour avantage de prolonger leur durée de vie tout en ayant des effets bénéfiques sur la santé et le temps libre. Quelques recommandations et habitudes peuvent changer votre quotidien :

  • couper les notifications,

  • limiter le nombre d'applications et de logiciels,

  • utiliser les versions mobiles des services au lieu des applications. La majorité des sites ont désormais des versions mobiles améliorées qui permettent de remplacer les applications.

  • limiter le nombre d'applications accessibles depuis l'écran principal,

  • couper le GPS/Bluetooth/Internet lorsqu'ils ne sont pas nécessaires,

  • privilégier une connexion filaire (Ethernet) qui consomme moins qu'une connexion Wi-Fi, qui elle-même consomme moins qu'une connexion en 3G/4G/5G,

  • éteindre les écrans le soir, ce qui aide à préserver le sommeil87.

Culture, artistes et numérique

Le secteur de la culture, bien qu'ayant dû adapter rapidement ses pratiques au numérique, en subit également les conséquences néfastes (dématérialisation, streaming, droit d'auteur, monopoles, etc.). Il est par ailleurs difficile de demander aux artistes de faire des efforts à leur niveau, alors même que de nombreux grands groupes n'en font pas ou peu, malgré les moyens dont ils disposent. Les pistes que nous amorçons ici s'apparentent à une démarche visant à sortir des monopoles pour pouvoir s'émanciper, et à une vision à long terme pour reprendre la main sur les outils numériques.

Si nous recommandons l'application des actions partagées dans ce guide, l'objectif principal n'est pas de pousser les artistes à des changements individuels, mais bien de créer des synergies stimulantes avec des communautés qui se sont spécialisées dans ce domaine. C'est une démarche qui se positionne à l'inverse du numérique tel que nous le connaissons, qui a tendance à nous isoler. Elle vise à créer un espace collectif et convivial, où le numérique représente un support et non une fin en soi88. Ces collaborations trans-sectorielles peuvent être source d'inspirations et apporter des bénéfices mutuels aux artistes et acteur·rices engagé·es.

Les réseaux sociaux

Les réseaux sociaux sont devenus des outils centraux pour une multitude d'usages du secteur musical. Contrairement à un changement de navigateur, changer de réseaux sociaux implique de perdre une communauté qui a souvent été construite au fil de longues heures de travail. C'est toute la magie du modèle des réseaux sociaux : nous travaillons pour eux gratuitement, en attirant de plus en plus d'utilisateur·rices sur leurs plateformes. Leur modèle économique étant d'accumuler des utilisateur·rices et d'accaparer leur temps afin de collecter de la donnée - vos données -, revendues à prix d'or89. Ce modèle s'accompagne d'une multitude de scandales qui ne cessent d'augmenter avec le temps90. Outre notre vie privée, les réseaux sociaux ont des impacts plus globaux sur nos sociétés : démocratiques91, géopolitiques92, humains93. À cela s'ajoute le fonctionnement des algorithmes qui favorisent les comportements haineux pour faire le buzz. Il est maintenant bien documenté que les réseaux sociaux commerciaux favorisent un discours extrême et les sphères peu enviables de notre société (haine, racisme, climato-scepticisme)94. Tout comme de nombreux outils du numérique, les réseaux sociaux les plus populaires sont basés aux États-Unis, un pays où la vie privée est moins protégée qu'en Europe95. TikTok (groupe chinois Byte Dance) est la seule exception, mais la Chine n'est pas non plus connue pour son respect de la vie privée96. Sans compter que nous n'avons aucun contrôle sur l'évolution de ces plateformes, comme l'a montré le cas de Twitter (désormais X) depuis son rachat par Elon Musk97. Ce modèle économique est aussi problématique d'un point vu environnemental. Les réseaux cherchent à capter constamment notre attention et nous poussent à utiliser leurs services le plus longtemps possible. Ce principe s'oppose à celui de sobriété numérique qui consisterait à réduire drastiquement le temps passé sur les services numériques.

Parce qu'elle permet un rapport privilégié avec leurs communautés, l'utilisation des réseaux sociaux est difficilement évitable par les artistes.

Il est donc préférable de se passer au maximum de ses réseaux ou de limiter leurs usages. On peut ainsi limiter sa présence à un ou deux réseaux, en affinant selon là où se trouve son public. Si ce n'est pas entièrement possible, et que vous avez besoin d'un support de communication en ligne, nous recommandons d'utiliser des alternatives plus éthiques en parallèle ou à la place. Toujours dans le cadre d'un usage raisonné.

En Europe, il n'y a pas d'acteur dominant dans le secteur des réseaux sociaux commerciaux, ce qui est paradoxalement une chance, car de nombreuses alternatives plus éthiques naissent et se développent en réponse à cette situation. C'est notamment le cas de l'univers fédéré, ou Fediverse, une alternative libre et open source aux réseaux sociaux commerciaux. Sur le réseau Fediverse, décentralisé et fédéré, chacun·e peut gérer un serveur, aussi appelé « instance », et ainsi proposer des services à une communauté qui pourra facilement communiquer avec d'autres instances. C'est comme si n'importe quel internaute ou organisme pouvait gérer son propre serveur avec sa propre version de Facebook et inviter ses ami·es à le ou la rejoindre tout en ayant la possibilité de communiquer avec d'autres copies de Facebook gérées par d'autres personnes (interopérabilité). La bienveillance et la réduction des algorithmes sont au cœur de ces logiciels. Le Fediverse n'est pas optimisé pour capter l'attention des internautes et il est dénué de filtres qui décident quels contenus les internautes pourront voir dans leur chronologie et quels contenus seront censurés.

Le Fediverse apporte une solution technique pour réguler les dérives des réseaux sociaux et de leurs business models. En décentralisant l'organisation des réseaux et en permettant une liaison entre l'ensemble des différentes plateformes, l'effet d'oligopole est évité. Il est possible de suivre des utilisateur·rices d'un autre réseau et de changer facilement d'instance si leurs conditions ne conviennent plus. Il est tout à fait envisageable d'auto-héberger une instance pour avoir encore plus de contrôle.

Ce fonctionnement a des vertus éthiques sans comparaison avec les réseaux proposés par les GAFAM, mais il souffre d'un point faible non négligeable pour les artistes : l'absence d'effet de masse. Pour le moment, les réseaux sociaux du Fediverse ont encore peu d'utilisateurs actifs (11 708 102 d'utilisateurs au 04/09/2398). Cela commence cependant à changer, en particulier pour Mastodon qui a vu une forte augmentation de ses utilisateur·rices suite aux scandales à répétition de X/Twitter. Pourtant, cette donnée reste encore marginale par rapport aux 353,9 millions de comptes de X/Twitter99. Ce faible nombre peut être un problème pour la communication, mais tout comme un site internet, ces plateformes offrent une solution de repli lorsque les GAFAM changent les règles sans vraiment prendre en compte les conséquences pour les utilisateurs. Ce petit nombre présente aussi des avantages, les communautés restent plus bienveillantes et les dérives de Facebook et X/Twitter (cyberharcèlement, haine en ligne, complotisme) sont encore peu présentes sur le Fediverse, dont le fonctionnement permet de fortement les limiter (fonctionnalités de blocage étendues). À condition de bien choisir son instance (voir encadré ci-dessous), cet effet de niche peut-être intéressant pour avoir un public plus restreint et respectueux pour des artistes souvent exposé·es.

Bien choisir son instance
Le fonctionnement du Fediverse permet d'héberger son propre réseau social, ce qui a permis à beaucoup d'associations et de militants d'ouvrir leurs propres réseaux afin de proposer un espace de discussion libre et respectueux de la vie privée. Mais l'effet inverse existe aussi, et la liberté de parole de certaines instances sert des intérêts nettement moins bienveillants. L'exemple emblématique est Truth Social, une instance Mastodon créée par Donald Trump après son exclusion de X/Twitter. (À noter que X/Twitter a nettement réduit sa politique de modération et que les discours haineux sont en forte augmentation depuis le rachat par Elon Musk100). Dans ce cadre de liberté, le blocage d'une instance est possible pour éviter le harcèlement, d'où le fait qu'il est important de bien choisir son instance pour atterrir dans un espace qui bloque et modère les contenus inappropriés. Des outils existent pour faire un choix éclairé101.

Comme pour les outils numériques, le rôle du Fediverse est de mettre en avant le pouvoir des utilisateur·rices sur une plateforme et non l'inverse. Celleux-ci font la force d'un réseau. Les artistes pourraient avoir un rôle précurseur en encourageant leurs communautés à migrer sur des réseaux plus vertueux. Il existe en effet une correspondance entre les réseaux sociaux commerciaux et les alternatives du Fediverse :

Exemple des clubs de Berlin et Mobilizon
Idéalement, il faudrait que des artistes ou personnes médiatiques rejoignent le Fediverse pour le rendre plus populaire. Le débat de savoir si le Fediverse a besoin d'une influence identique aux réseaux sociaux commerciaux reste ouvert : est-ce que les valeurs d'ouverture et d'égalité seront toujours présentes si des célébrités mondiales se mettaient à utiliser le Fediverse ? Si cette question demeure en suspens, reste que la liberté offerte par la décentralisation permet toujours de mettre en place des alternatives. Ainsi, plusieurs clubs de Berlin ont tenté d'utiliser Mobilizon pour s'affranchir de Facebook Events afin promouvoir leurs événements102. Il est possible d'en apprendre davantage avec le documentaire Disparaître : sous les radars des algorithmes de ARTE.

Les systèmes d'exploitation

Logiciels libres et communs : des notions nécessaires pour comprendre notre approche
Le peu de solutions numériques sobres disponibles actuellement découle en partie d'un manque de contrôle sur nos outils numériques. Nous l'avons vu dans la section L'État de l'art, un petit nombre d'acteurs contrôlent le numérique tandis que leurs modèles économiques, leurs pratiques et leurs historiques ne nous permettent pas d'avoir confiance dans leurs actions pour « verdir » le numérique. Nous pensons que les logiciels libres et la création de communs sont une étape nécessaire pour nous permettre collectivement de reprendre le contrôle sur les outils de création. Cette étape est primordiale pour parvenir à la réalisation d'outils plus sobres et durables. C'est aussi un changement indispensable pour ralentir la vitesse imposée par le numérique que développent les géants du web.
Un commun désigne une ressource produite et/ou entretenue collectivement par une communauté d'acteurs hétérogènes, et gouvernée par des règles qui lui assurent un caractère collectif et partagé. Il est dit numérique lorsque la ressource est dématérialisée : logiciel, base de données, contenu numérique (texte, image, vidéo et/ou son), etc. L'usage de la ressource par les uns ne limite pas les possibilités d'usage par les autres (la ressource est non rivale). Sa préservation ne passe pas par la réservation du droit d'usage à une communauté restreinte (la ressource est non-exclusive). Labo Société Numérique de l'ANCT
Les communs suivent des principes d'auto-gouvernance et d'actions collectives. L'action collective, signifie que les communautés déterminent quelles données sont numérisées, leur véracité, leur sécurité, et leur utilité pour les droits de l'homme et les politiques environnementales (logiques d'extraction, obsolescence)103.

Une autre étape, plus difficile, mais qui offre le plus de possibilités, est le passage à GNU/Linux, un système d'exploitation libre. Le marché des systèmes d'exploitation (abrégé OS en anglais pour operation system) grand public se divise entre deux entreprises : Microsoft (Windows) et Apple (macOS). Google est de plus en plus présent avec ChromeOS104. Ces trois OS ont le point commun de ne pas mettre le respect de la vie privée et la lutte contre l'obsolescence au centre de leur développement. Bien au contraire, ils sont de plus en plus gourmands en données personnelles et il est nécessaire que les utilisateur·rices configurent leur système d'exploitation après installation pour conserver un minimum de vie privée. En outre, leurs mises à jour successives s'accompagnent toujours d'une demande d'espace et de puissance accrue, ce qui participe fortement à l'obsolescence logicielle et matérielle.

Alternative aux systèmes d'exploitation des GAFAM, GNU/Linux est un système d'exploitation ouvert, soit disposant d'un code source accessible à tou·tes. En réalité, GNU/Linux est bien plus présent que les autres OS car, en dehors des usages grand public, ce système fait tourner la majorité des appareils électroniques, des serveurs Internet, des voitures et satellites, jusqu'à notre radio réveil105. Sa gratuité et sa sécurité ont beaucoup participé à son succès. Le fait que GNU/Linux ait un code ouvert à tous facilite les audits des logiciels et de nombreux bénévoles participent constamment à son amélioration. Ce système respecte ainsi la vie privée car aucune entreprise centrale, susceptible de collecter les données, ne le chapeaute. De plus, l'ouverture du code permet de détecter plus facilement la collecte de données.

Une importante communauté existe pour apprendre à l'utiliser. Contrairement à Windows ou macOS, il existe une multitude de versions de GNU/Linux - appelées distributions - chacune adaptée à des usages différents. De nombreuses distributions sont gérées par des communautés ou fondations, quelques-unes par des entreprises. La puissance de GNU/Linux repose sur le fait de pouvoir changer de distribution à tout moment. Il est donc rare qu'une distribution reproduise les comportements nocifs de Windows ou macOS, au risque de perdre sa communauté. En règle générale, GNU/Linux demande moins de puissance pour fonctionner, ce qui nous intéresse dans un cadre de sobriété, car ces distributions sont capables de tourner sur du matériel ancien et permettent donc de faire durer les appareils. La tendance à la complexification des logiciels et leur demande exponentielle de puissance sont plus limitées dans le monde de GNU/Linux. Les équipes ont moins de moyens pour développer des logiciels complexes et la culture de la réutilisation et de la réparation est plus présente. Un autre avantage de ces OS libres est de favoriser une culture d'apprentissage et d'appropriation des outils numériques. C'est une façon de reprendre le contrôle et de créer un commun numérique.

Une distribution Debian avec un environnement de bureau moderne (source Wikimedia, Debian).

Une distribution AntiX légère, idéale pour des ordinateurs anciens (source Wikimedia, AntiX).

L'objectif de ce guide n'est pas de faire une introduction complète pour installer GNU/Linux, mais nous reconnaissons que c'est une étape difficile. Le but est de vous encourager à contacter des associations et collectifs qui sauront vous accompagner dans cette transition. Des événements dédiés à l'installation d'OS libres nommés « install party » sont régulièrement organisés. Des bénévoles vous aident à installer GNU/Linux sur votre ordinateur. C'est une manière beaucoup plus conviviale de découvrir ce système d'exploitation et de l'apprendre bien plus paisiblement. L'agenda du libre propose une liste des install-party.


../assets/guide/logo-cem.pngLe cas de l'école de musique du CEM
Le CEM (Centre d'Expressions Musicales) du Havre est un pôle consacré aux musiques actuelles regroupant une école, un centre de formation professionnelle, des studios de répétition, une salle de concerts, un bar et différents espaces de convivialité. Cette association a la particularité d'avoir un poste dédié à l'informatique. Nicolas Nouet, son responsable, a ainsi développé plusieurs initiatives pour permettre au CEM d'avoir des outils numériques plus conviviaux. Un lot d'ordinateurs reconditionnés, parfois améliorés grâce à des pièces détachées, a été acquis et tourne sous GNU/Linux à destination des équipes et élèves du centre. Cette démarche, qui malheureusement échappe à la logique comptable de coûts et d'amortissements, représente pourtant une économie importante pour le CEM à long terme, car elle permet à des appareils anciens de durer dans le temps. L'association a par ailleurs développé d'autres aspects liés aux logiciels libres, notamment la mise en place d'un Peertube ou le développement d'un logiciel de gestion en interne, évitant la dépendance à un logiciel propriétaire pas nécessairement adapté à la structure.


Quelles contraintes pour les artistes ?

Nous sommes conscients des limites de ces distributions dans un cadre plus professionnel. De nombreux logiciels suivant eux aussi une logique commerciale, fonctionnent principalement sur des OS commerciaux. Pourtant, des projets libres cherchent parallèlement à proposer des outils aux artistes. Tout dépend de vos usages du numérique pour la conception, la production et la diffusion de musique, mais ce guide comprend une partie dédiée à l'usage de GNU/Linux pour créer de la musique avec des alternatives libres (voir section Logiciels libres pour les musiciens). Étant donné qu'il existe de plus en plus de logiciels libres, une solution prochaine est à espérer, peut-être même une solution que vous contribuerez à développer. Il est toujours possible de commencer par une transition sur un appareil personnel pour se familiariser avec le monde de GNU/Linux.

Le matériel

Prolonger la durée de vie

Prolonger la durée de vie et d'utilisation des appareils électroniques est l'étape la plus importante pour réduire l'impact du numérique. Le renouvellement constant des appareils électroniques est en effet la première source de pollution du numérique106. Il existe par ailleurs de plus en plus de solutions pour lutter contre l'obsolescence logicielle et matérielle. Comme pour les logiciels, ces solutions ne proviennent pas des acteurs principaux (constructeurs, opérateurs mobile, institution publique, etc.). Nous avons par exemple déjà évoqué l'utilisation de GNU/Linux pour donner une seconde vie à des appareils anciens et les faire durer dans le temps. Le problème n'est cependant pas uniquement lié au logiciel, d'où l'importance de réparer, réutiliser ou produire différemment.

Le marché de l'occasion et de la réparation a fortement augmenté depuis plusieurs années. Il y a de plus en plus de choix pour trouver des appareils de seconde main ou réparer. Des acteurs privés comme ifixit proposent des guides pour la réparation ainsi que des pièces détachées. D'autres modèles plus associatifs correspondent mieux à la création de communs. Les Repair cafés offrent un soutien et un accompagnement pour la réparation des appareils électroniques à la manière des ateliers de réparation de vélos autonomes. Toujours dans une logique d'éducation populaire, ces lieux aident à comprendre et mieux entretenir nos appareils. Ils sont aussi des lieux où il est possible de s'organiser collectivement contre l'obsolescence matérielle au travers d'associations qui défendent le droit à la réparation comme Repair.eu ou contre l'obsolescence programmée avec HOP.

Lorsqu'il n'est pas possible de réparer, l'achat de seconde main est une alternative à privilégier. Il existe des acteurs tels Smaaart ou Backmarket (une place de marché de mise en relation avec des revendeurs), et les sites d'occasion sont une option à envisager. /e/ propose par exemple des smartphones reconditionnés, vendus avec l'OS alternatif (Murena), une version d'Android respectueuse de la vie privée. La location, un modèle en essor, pousse par ailleurs les acteurs du secteur à faire durer les appareils. D'autres comme Commown proposent la location de smartphones et d'ordinateurs incluant un service de réparation. En dernier recours, il est possible d'acheter neuf, en privilégiant des produits plus éthiques, à l'instar des Fairphones ou des ordinateurs de Why. Un forfait téléphonique plus éthique qui encourage à consommer les données mobiles avec parcimonie peut aussi être une solution astucieuse pour limiter l'usure et l'usage de nos appareils. Des sociétés coopératives proposent des abonnements alternatifs qui vont dans ce sens : TeleCoop (France), Neibo (Belgique) et Your Co-op (Royaume-Uni).

Les instruments, en particulier électroniques, pourraient bénéficier des mêmes principes avec un développement du marché de l'occasion107 et de la réparation ainsi que le développement d'alternatives comme des solutions de sonorisation qui utilisent l'énergie solaire. Le recyclage est une autre option à imaginer. Ces solutions peuvent aussi être un parti pris artistique dans le développement de nouveaux instruments ou de systèmes de sonorisation.


Système autonome issu de matériels recyclés
Low Tech Sound est un système de diffusion sonore uniquement construit avec du matériel récupéré, recyclé et trouvé. L'ingéniosité de ce système permet d'obtenir une sonorisation uniquement basée sur la récupération, ce qui permet de réduire fortement l'impact écologique du projet. Les batteries peuvent être chargées via des panneaux solaires ou sur secteur. Il est possible d'avoir plus de détails techniques en contactant le Low Tech Sound.


Le Low Tech Sound System

En échangeant avec Open Mastering, nous avons pu découvrir que la démarche du DIY et de la réparation pouvait prendre des formes diverses. Internet permet d'échanger des plans et d'obtenir des pièces qui permettent de construire du matériel à moindre coût. C'est notamment le cas d'un microphone de studio, proche du modèle U87, qui peut être construit grâce à des tutoriels en ligne108. L'avantage de cette démarche, outre une économie financière non négligeable, est l'apprentissage et la maintenabilité. Construire ce type de projet demande de comprendre son fonctionnement, ce qui facilite par la suite l'entretien et la réparation du matériel.

Les nouvelles technologies

Avant d'aborder en détail les nouvelles technologies qui ont ou auront un impact sur le secteur de la musique, il nous semble important d'évoquer un aspect rarement abordé dans les milieux technophiles, celui de l'enjeu éthique de la technique109-110. Les nouvelles technologies sont souvent présentées comme neutres alors qu'elles portent un bagage culturel et idéologique non négligeable. Les technologies évoquées ci-dessous sont très marquées. La majorité d'entre elles sont développées par des entreprises de la Silicon Valley. Celles-ci sont loin d'être neutres dans leur vision du monde et nous en expérimentons déjà les implications, au travers notamment des monopoles des GAFAM111.

L'intelligence artificielle (IA)

Pour le Parlement européen, l'IA représente tout outil utilisé par une machine afin de « reproduire des comportements liés aux humains, tels que le raisonnement, la planification et la créativité »112. Ce secteur est pour le moment entièrement dépendant des acteurs de la Silicon Valley avec OpenAI (ChatGPT, DALL·E), un laboratoire de recherche et une fondation (soutenue par Microsoft113) et Google (Bard) qui tente d'avancer à marche forcée pour combler son retard114. L'autre secteur de l'IA serait davantage à chercher du côté de la Chine en termes d'investissement, mais aucun outil n'a encore inondé le marché.

Il est intéressant de s'interroger sur les possibilités pour l'Europe de pouvoir proposer une alternative plus éthique face aux acteurs dominants actuels. L'Europe, certes avec des imperfections, s'est avérée précurseuse en termes de défense de la vie privée avec le RGPD (le règlement général sur la protection des données). En terme technologique pour l'IA, il est regrettable de constater que le retard semble trop important pour qu'un acteur européen émerge dans cette course. Dans le domaine de la collecte de données, élément essentiel pour entraîner les IA, aucun géant du web n'est européen hors Spotify. L'investissement européen dans l'IA reste nettement inférieur aux investissements américains et chinois. Il existe certes des propositions intéressantes pour une IA plus éthique au service de la création115 et des alternatives qui évitent les écueils des IA dominantes116, mais dans un marché de libre échange mondialisé avec la logique de monopole constante dans le numérique, le vainqueur dictera les règles du jeu. Quand on voit la réaction du fondateur d'OpenAI qui menace de quitter le marché Européen lorsque l'Europe parle de régulation117, nous avons du mal à imaginer un changement dans l'orientation actuelle de ces technologies...

Cette situation ne s'accorde pas avec le discours qui revendique l'IA comme un outil facilitateur du quotidien, tout particulièrement en Europe. Nous n'avons pas encore assez de recul pour comprendre le risque sur de nombreux secteurs d'activité et il ne semble pas possible de dicter les règles ou contrôler ces outils. L'IA repose déjà sur des scandales humains, comme ChatGPT qui a exploité des travailleur·ses au Kenya pour son entraînement et son fonctionnement118. Il y a peu de chance, au vu des acteurs du secteur, que le modèle économique final devienne respectueux des artistes, du droit d'auteur et partisan d'une rémunération juste. Les premiers procès sont déjà en cours119. Actuellement, l'IA qui nous est proposée semble se diriger vers une précarisation toujours plus importante du plus grand nombre. La différence avec le streaming étant que cette uberisation touchera beaucoup plus de secteurs.

Les premières estimations sur l'IA montrent aussi un impact écologique non négligeable, qui pourrait faire exploser la pollution numérique120. L'usage de l'IA pourrait aussi devenir un accélérateur de problèmes liés au numérique qui ne sont toujours pas réglés. Comment s'assurer de la véracité des informations en ligne, de l'exactitude des images lorsque les IA sont capables de produire des quantités de récits et de visuels faux à une vitesse que l'humanité n'a jamais connue121.

La seule option envisageable serait une IA réellement libre et développée dans un cadre légal contraignant, afin d'assurer le respect des travailleur·ses, de la vie privée et du droit d'auteur, mais le marché ne favorise guère les critères éthiques. Armé.es de ce constat, nous ne pouvons que recommander un usage très parcimonieux des IA afin d'éviter toute dépendance, nocive sur le long terme. Le risque de changement de modèle économique des IA, de pollution, et de non-respect du droit d'auteur est trop important pour recommander l'usage de ces outils. Utiliser les IA actuellement dominantes favorise leur développement, tant qu'il n'y a pas d'alternatives plus éthiques et que l'Europe ne les régule pas fortement.

Le métaverse

Concept issu de la littérature de science-fiction, le métaverse est un espace de réalité virtuelle dans lequel les utilisateur·rices peuvent interagir avec un environnement généré par ordinateur et avec d'autres personnes. De nombreuses tentatives ont existé pour mettre en place un tel univers. Au moment de commencer les recherches pour ce guide, le métaverse était vu comme un projet développé par META (Facebook/WhatsApp). En l'état, il n'est pas nécessaire de faire une étude poussée des impacts de ce concept, le constat est là : le projet est un échec122.

Pourtant le métaverse est une leçon hautement intéressante, témoignant de la puissance du marketing et des lobbies pour lancer des besoins inutiles. Au début des recherches que nous avons menées dans le cadre de STOMP en janvier 2023, le métaverse s'annonçait encore comme une révolution. La Commission européenne avait même lancé un plan en septembre 2022 pour créer un métaverse européen123. Toutefois, la plus-value pour les artistes semblant nulle, la majorité des entreprises qui avaient l'ambition de lancer des projets de métaverse ont quitté le navire124. Cet épisode aura eu le mérite de souligner l'importance de questionner la technologie et d'instaurer un débat démocratique.

Les NFT

Un NFT (non fungible token) est un jeton non fongible (qui ne peut être remplacé), sorte d'identifiant numérique attaché à un actif (un fichier numérique). L'objectif est de rendre un objet virtuel unique et d'identifier le propriétaire de l'œuvre facilement. Le jeton est inscrit dans une blockchain, soit dans ce cas, l'équivalent d'un registre décentralisé servant de preuve d'identification.

Partant d'un besoin nécessaire, notamment celui de faire respecter le droit d'auteur, les NFT ont rapidement dérivé, illustrant une fois de plus l'incapacité des technologies à résoudre un problème sociétal. Innovation et progrès social ne vont pas toujours de pair. Après l'explosion des ventes émaillées de records de prix125, les valeurs se sont depuis largement effondrées126 et l'échec semble acté par la presse qui elle-même avait chanté les louanges de cette technologie (tout comme celles du métaverse d'ailleurs)127. Au final beaucoup de NFT s'apparentent à des pyramides de Ponzi128 :

« En cela, les NFT réalisent un vieux rêve du capitalisme : de l'argent et du capital générable sur du rien, et donc sans limite. Les NFT se résument à des titres de propriété dépouillés de tout ce qui va habituellement avec. [...] Les NFT ne peuvent qu'associer un nom à un fichier, une image, etc. : en aucun cas elles ne peuvent restreindre l'usage de cet objet numérique par l'intégralité du reste de l'humanité qui y a accès. Avec les NFT : on peut maintenant « posséder » quelque chose au titre de la propriété privée sans en avoir l'usage exclusif, voire même sans en avoir l'usage tout court. » Gee, Pourquoi tant de nft ?

Ces nouvelles technologies bénéficient avant tout aux artistes à forte notoriété129. Les NFT ont accentué l'écart de rémunération, comme on le constate avec le streaming. Comme toute technologie complexe, les NFT ont un coût environnemental non négligeable130. Ce coût écologique est difficile à soutenir étant donné l'échec économique des NFT.

Est-ce que d'autres modèles existent ?
Les NFT cherchent à régler un problème lié aux droits d'auteur, sujet géré historiquement par les sociétés de gestion de droits d'auteur. Le modèle du droit d'auteur a jusqu'ici toujours favorisé une minorité des artistes, ceux-ci empochant la majorité des revenus131-132-133. Les plateformes de streaming et les NFT calquent pour l'instant cette même logique. L'idée de la diffusion libre vise à permettre aux artistes de reprendre le contrôle sur leurs œuvres en limitant sa « taxation »134. Le constat est simple : les concerts sont la première source de revenus pour la majorité135. Les modèles du don ou des prix libres sont des compléments intéressants pour les petits artistes, et ne sont pas nécessairement moins rémunérateurs par rapport aux gains dérisoires engendrés par les droits d'auteur et le streaming. Outre l'aspect juridique et financier, l'idée est de permettre la diffusion de la culture sans risque d'interruption (diffusion de savoirs, traditions)136. Cette logique rejoint celle du logiciel libre et la création de commun culturel défendu par le docteur en science et technologie Antoine Moreau dans sa thèse « le copyleft appliqué à la création hors logiciel137 ».

Essai 3 par Bas Grasmayer

Construire un monde : comment les musicien·nes peuvent orienter leur stratégie numérique en réponse à la crise climatique

Après deux années de pandémie, l'attention du public s'est à nouveau portée sur le défi le plus persistant de l'humanité : l'environnement et la crise climatique. Dans les années à venir, tout le monde devra faire face à la réponse ou à l'absence de réponse de nos gouvernements et de nos sociétés. Cela aura un impact significatif sur la musique dans le domaine physique et affectera également le domaine numérique, alors que les artistes s'adaptent aux nouveaux défis et cherchent des réponses à la question : comment puis-je développer des stratégies numériques pour une carrière musicale plus durable ?

Les nouveaux modèles

Pour de nombreux artistes, l'industrie est arrivée au bout du chemin. Les tournées deviennent trop coûteuses. Les redevances du streaming ne sont pas un moyen viable de gagner leur vie. Les modèles de réussite fondés sur les paradigmes du XXe siècle s'effondrent ou ne profitent qu'à un petit pourcentage de musicien·nes.

L'inflation, les prix élevés de l'énergie, les inondations, les sécheresses, les perturbations de la chaîne d'approvisionnement - et tout ce qui donne aux actualités quotidiennes un air de dystopie - sont autant de circonstances qui nous ont mis sur une trajectoire qui continuera de nous éloigner de ce qui était autrefois normal.

Pour reprendre une expression de la période culminante de la Covid-19, nous sommes en train de définir une nouvelle normalité. Il ne serait pas exagéré de suggérer que les voyages deviendront plus coûteux. Il existe des subventions pour la production de combustibles fossiles, mais aussi pour les voyages en avion. Pensez par exemple à l'absence de TVA sur les billets d'avion ou aux exonérations fiscales138 sur le carburant en Europe. Cette situation n'est pas durable, dans tous les sens du terme. Tôt ou tard, les gouvernements vont devoir agir. Ce qui signifie que pour de nombreux artistes, il pourrait devenir encore plus difficile de dépendre de la musique live pour soutenir leur carrière.

Si vous souhaitez envisager l'effondrement, il vous suffit d'ouvrir un site d'actualités. Soyons donc proactifs et concentrons-nous sur ce que les artistes peuvent faire pour réagir à la crise climatique et créer un monde plus durable.

Nous devons rechercher de nouveaux modèles.

Stratégie numérique à l'ère de la crise climatique

Commençons par une bonne nouvelle : une grande partie des principes de base de la stratégie numérique restent les mêmes, même avec de nouveaux modèles. Ces principes de base reposent sur une utilisation intelligente des technologies dont nous disposons, sur la psychologie, ainsi que sur la compréhension des effets de réseau. En bref, il s'agit de bien comprendre son public et de développer des modèles commerciaux qui répondent spécifiquement à ses besoins, désirs, espoirs et rêves.

Nous nous pencherons sur la pratique de la construction d'un univers en explorant deux exemples d'artistes qui utilisent des moyens numériques innovants pour accompagner leurs fans dans leur voyage. Nous examinerons ensuite ces technologies de manière plus générale afin de comprendre comment vous pourriez les utiliser à un stade beaucoup plus précoce de votre carrière.

Exemple 1 : BLOND:ISH

Fondatrice de la fondation Bye Bye Plastic, la productrice et DJ canadienne BLOND:ISH est bien connue pour son travail dans le domaine environnemental. Récemment, elle a produit des « vinyles » biodégradables, à base de bactéries139, accompagnés d'un NFT. Si les vinyles peuvent se dégrader avec le temps, les NFT sont quant à eux destinés à être un enregistrement plus permanent140 de ...l'enregistrement.

Attendez... Un NFT ? Est-ce que cela ne consomme pas d'énormes quantités d'énergie ? Certes, certains des NFT les plus populaires au monde ont été créés sur une blockchain appelée Ethereum, qui, jusqu'en 2022, était très gourmande en énergie. Toutefois, depuis l'introduction d'un nouveau mécanisme de validation des transactions sur son réseau, la consommation d'énergie a été réduite de 99,9 %141. Cela signifie que l'ensemble de la blockchain n'utilise qu'une fraction de l'énergie consommée par un site web populaire comme Airbnb, les NFT ne représentant eux-mêmes qu'une infime partie de l'ensemble de l'activité sur Ethereum.

Ceci étant dit, parlons de la construction des univers et de la façon dont ce disque s'inscrit dans le récit que BLOND:ISH crée pour ses fans.

Cette construction est une pratique qui permet aux artistes de créer un univers au-delà de leur personnalité individuelle par le biais de la narration. Les exemples vont de l'évolution des visuels utilisés lors des sorties musicales et des concerts, à l'introduction de nouveaux personnages ou de nouvelles identités, en passant par des expériences de type métavers beaucoup plus vastes. Grimes, Sevdaliza et Janelle Monáe sont d'excellents exemples d'artistes qui construisent un univers.

La vision de BLOND:ISH est celle d'un "Happy Happy World" et est décrite comme142 :

« une réalité parallèle où les systèmes sont entiers et ininterrompus, et où les gens vivent dans l'abondance et le bonheur. C'est un endroit où tous les aspects du système actuel qui limitent le potentiel et les possibilités des personnes sont améliorés et résolus. »

Pour accéder à cet univers et y débloquer des éléments, les fans ont besoin d'une monnaie appelée le $ISH token, que BLOND:ISH a co-créé avec la startup p00ls143 . Cette monnaie peut être gagnée comme récompense en accomplissant certaines tâches sur p00ls, mais elle est également incluse lorsque vous achetez son (non-)vinyle, par exemple. Dans ce cas, l'univers de BLOND:ISH est actuellement composé de son site internet et de son Discord, où ces tokens peuvent être utilisés.

C'est par la construction d'un univers qu'un artiste peut atteindre ses fans dans le monde entier et les inspirer à imaginer quelque chose de meilleur. L'artiste peut ensuite implorer ses fans de commencer à agir dans le sens de cette vision. Dans le cas de BLOND:ISH, elle peut même utiliser le $ISH token pour les récompenser.

Mais ce n'est pas le seul token dans lequel BLOND:ISH est impliquée. Par l'intermédiaire de sa fondation Bye Bye Plastic, on peut gagner des $BYEBYE tokens en récompense d'actions eco-responsables.

Quelques-unes des actions récompensées par les $BYEBYE tokens.

Exemple 2 : Billie Eilish

BLOND:ISH n'est pas la seule artiste dont le nom se termine en ish et qui est reconnue pour son travail en faveur de l'environnement. Si vous demandez à des personnes de citer un·e artiste qui accorde une grande importance à l'environnement, nombreux·ses sont celleux qui répondront sans aucun doute Billie Eilish.

Sa tournée mondiale Happier Than Ever est un exemple parfait de construction d'un univers. Elle a notamment incité ses fans à agir de manière plus responsable en évitant la consommation de plus de 117 000 bouteilles en plastique à usage unique grâce à des gourdes et à des fontaines à eau gratuites, en amenant des milliers d'électeur·ices à s'inscrire sur les listes électorales, en végétalisant les repas dans tous les lieux de tournée, en vendant du merch upcyclé, et la liste est loin d'être exhaustive144.

Pour y parvenir, Billie Eilish a collaboré avec REVERB, une organisation américaine à but non lucratif dont l'objectif est de rendre le secteur de la musique plus durable, qui a mis en place des Eco-Villages lors de ses concerts.

C'est là que les choses deviennent numériques.

Dans ces Eco-Villages, les fans étaient invités à s'inscrire à l'appel à action Music Climate Revolution de REVERB, qui mobilise les fans et les informe régulièrement des actions qu'ils peuvent entreprendre en faveur d'un monde plus durable. Ce programme rassemble une base de fans d'artistes qui accordent de l'importance aux enjeux environnementaux et sociétaux, de sorte que tout ne dépend pas de l'artiste préféré des fans pour maintenir cet élan. Au contraire, le programme forme une large coalition de fans de musique qui souhaitent que le monde d'aujourd'hui soit plus durable que celui d'hier.

Les fans avaient en outre la possibilité de prendre un engagement en ligne, comme manger un repas végétalisé par jour pendant un mois. Cet engagement a été pris en partenariat avec Support + Feed, une ONG créée par Maggie Baird, la mère de Billie Eilish, qui aborde l'action climatique de manière pragmatique en changeant la façon dont les gens s'alimentent.

Il est souvent difficile pour les artistes de savoir ce qu'ils peuvent faire, au-delà des actions basiques d'avoir un merch plus responsable ou un eco-rider, en vue de réduire leurs émissions de carbone. Mais c'est par l'influence qu'ils exercent sur leurs fans que les artistes peuvent avoir un impact considérable.

Quelques enseignements

Revenons un peu en arrière : à quoi ressemble l'avenir pour les artistes qui débutent aujourd'hui ? Quels sont les enseignements des exemples ci-dessus qui peuvent être appliqués immédiatement ?

1.La construction d'un univers comme paradigme : avant d'entrer dans les exemples, nous avons établi que les redevances de streaming et les tournées sont des moyens de plus en plus difficiles à mobiliser pour les artistes afin d'assurer la pérennité de leur carrière. En élargissant le récit de l'artiste au-delà des lieux habituels où les gens interagissent avec vous, par le biais du streaming ou d'un concert live, les artistes peuvent créer des expériences et des propositions supplémentaires pour leurs fans. À une époque d'incertitude, ce n'est pas un luxe, mais quelque chose de crucial. Cela crée un nouveau paradigme qui permet aux artistes d'expérimenter de nouveaux outils, de nouvelles technologies, et de s'éloigner de ce qui ne fonctionne pas pour eux (comme des tournées au coût prohibitif, ou des pratiques qui ne sont pas respectueuses de l'environnement, comme c'est le cas de nombreuses options de merchandising).

2.La construction d'un univers comme activisme : l'une des façons d'avoir un impact positif sur le climat est de commencer par ses propres actions, mais les artistes sont dans cette position unique qui leur permet d'avoir un impact considérable en impliquant leur public. Au travers cet imaginaire d'un univers, chacun peut être incité à agir, à faire plus et à encourager les autres à faire de même. Peu d'entre nous pourront mettre sur pied une production aussi importante que celle de Billie Eillish, mais comme BLOND:ISH a pu le montrer, les univers n'ont pas besoin d'être construits hors ligne. On peut inviter son public à participer à des espaces virtuels et des récits en ligne, où il est encouragé à rêver, à se connecter et à agir. Il ne s'agit pas nécessairement d'un environnement en 3D ; il peut s'agir simplement d'une dicussion de groupe qui correspond à votre intention artistique.

3.La communauté comme pierre angulaire : Plus que jamais, il est essentiel de créer des communautés autour de votre musique. Lorsque vous construisez des récits en tant qu'artiste et que vous façonnez des univers, vous avez besoin de personnes pour les habiter afin qu'ils ne soient pas statiques ou figés. En voyant votre public interagir les uns avec les autres, en tant que communauté, vous pouvez comprendre beaucoup plus profondément qui il est et ce qui le passionne. De cette manière, vous pouvez identifier de nouvelles opportunités durables qui sortent des sentiers battus.

L'échelle est depuis longtemps un ingrédient nécessaire à la carrière des artistes. Et ceci est particulièrement vrai à l'ère du streaming, car il faut des millions de flux mensuels pour pouvoir en vivre. D'autres modèles requièrent également une certaine échelle : pour faire une tournée, il faut des fans. Pour atteindre le seuil de rentabilité de la production de produits dérivés, et a fortiori pour faire des bénéfices, il faut des commandes.

Ces modèles d'échelle devenant moins efficaces, comment les artistes peuvent-ils utiliser les nouvelles technologies pour obtenir des résultats durables à la fois pour leur carrière et pour l'environnement ?

La virtualisation

Les déplacements des spectateurs représentent une part importante des émissions de gaz à effet de serre liées aux tournées. La construction de ces univers pourrait-elle permettre aux artistes de créer des stratégies sans déplacements ?

Pendant la pandémie de Covid-19, nous avons déjà assisté à une augmentation des livestreams et d'autres contenus numériques que les artistes ont tenté de monétiser. Des producteurs comme Stranjah, qui dirige une chaîne de formation à la production sur YouTube, sont d'excellents exemples de moyens de diversifier les sources de revenus et d'atteindre une plus grande échelle par de nouveaux moyens. Tous ses followers ne sont peut-être pas des fans de sa musique, mais ils l'aident à soutenir sa carrière musicale.

Alors que nous sortions lentement de ces années restrictives, de nouveaux concepts et de nouvelles technologies se sont présentés, avec des artistes désireux de poursuivre l'expérimentation menée en temps de crise. Des concepts tels que le métaverse, la blockchain et l'intelligence artificielle sont entrés dans le quotidien de l'industrie musicale.

Il est important de ne pas considérer ces technologies de manière isolée. Nous devrions plutôt les considérer comme les ingrédients d'un paysage émergent. De même, nous ne devrions pas séparer cela du paysage numérique actuel, ni du contexte de notre époque et, en particulier, de la crise climatique.

L'une des façons dont les artistes peuvent prendre de l'ampleur dans le futur est de se virtualiser en avatars. Hatsune Miku est une artiste avatar qui existe depuis plus d'une dizaine d'années et qui, en 2014, a même fait la première partie d'un concert de Lady Gaga. Plus récemment, des artistes comme Holly Herndon et Grimes ont créé des modèles d'IA formés à leur voix et ont donné aux gens le droit de créer de la musique avec celle-ci. Cette dernière permet même aux gens de distribuer leurs créations et de les monétiser avec un partage des droits d'auteur à 50/50145. Cela suppose deux éléments :

1. Les fans sont impliqués dans les univers des artistes, ce qui leur permet de faire partie du processus de co-construction.

2. Cela permet d'augmenter la capacité de l'artiste. Dans ce cas, des centaines de milliers de personnes peuvent collaborer avec ces artistes, sans qu'aucun d'entre eux n'ait besoin d'être présent dans la pièce pour le faire, ni même d'être conscient que cela se produit.

Les outils d'IA générative devenant plus faciles à utiliser, même des personnes inexpérimentées pourront s'exprimer grâce à la musique. Les attentes en matière d'interactivité musicale seront plus élevées, de même que le sentiment de personnalisation. La bonne nouvelle, c'est qu'en tant qu'artiste, il sera également plus facile d'inviter des fans à jouer avec vous. Qui sait, vous pourriez être en mesure de créer des versions de vous-même146 ou de votre univers, avec lesquelles chaque fan vivra une expérience totalement unique et personnelle. Cela pourrait être associé à un modèle de revenus qui vous permettrait de vous connecter en temps réel avec des fans du monde entier, sans que personne n'ait besoin de voyager pour cela. Une autre façon de passer à l'échelle peut être de se regrouper et de former une scène forte avec d'autres. Ensemble, vous êtes plus forts. Les technologies de la blockchain permettent aux communautés d'émettre leurs propres monnaies, comme les tokens $ISH et $BYEBYE mentionnés plus haut. Dans les exemples de BLOND:ISH, ces tokens sont utilisés pour débloquer les offres de BLOND:ISH et de Bye Bye Plastic elles-mêmes, mais on pourrait imaginer qu'ils le soient pour des approches plus ascendantes. Par exemple, une scène pourrait décider de canaliser ses revenus collectifs dans un fonds commun, puis de voter sur les dépenses à partir de ce fonds. Le vote pourrait être pondéré par le nombre de tokens gagnés par les membres de la communauté. Les communautés de curation musicale dirigées par des artistes, telles que The Park, heds et Songcamp, en sont des exemples précoces.

Nous entrons dans l'ère de la résilience. En tant qu'artiste, vous pouvez offrir des récits qui unissent des étrangers et leur donnent l'impression d'être vus ou entendus. Vous pouvez les inviter à participer, ce qui est devenu plus facile que jamais grâce à l'IA. Il est possible de former des communautés qui peuvent activement mettre en commun des ressources pour étendre ces univers, puis voter sur la manière de le faire exactement. Cette résilience communautaire a été rendue plus facile que jamais grâce à la technologie blockchain, réduisant la dépendance à l'égard d'institutions plus formelles, telles que les banques, dont les investissements ont contribué à la crise climatique dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui.

Vous pouvez faire tout cela tout en réduisant progressivement votre propre impact sur l'environnement, en réduisant les pratiques non durables en matière de commerce et de déplacement. Les discours catastrophistes ne manqueront pas, alors proposez aux fans une meilleure vision, quelque chose en quoi croire et sur quoi agir.

Soyez imaginatifs. Construisez des univers.

Bas Grasmayer est le fondateur de la newsletter MUSIC x sur la musique et l'innovation. Il contribue régulièrement à des publications telles que Water & Music et i-D, donne des conférences et est invité à donner des cours. Par le passé, il a dirigé des équipes de produits pour des services de streaming musical et est actuellement basé à Berlin, où il travaille en tant que responsable de la gestion stratégique de la plateforme COLORSxSTUIO.

Perspectives sur les nouvelles technologies

Il est essentiel de remettre en question les avancées technologiques et de ne pas succomber à la crainte de passer à côté d'une innovation (effet de FOMO). Il est irréaliste d'espérer que des progrès technologiques futurs résolvent des enjeux sociétaux (tels que l'égalité, l'exclusion, la rémunération) ou écologiques. Les innovations récentes présentent de sérieux risques sans offrir de bénéfices tangibles pour les artistes. En réalité, certains échecs peuvent être salutaires. De plus, ces avancées tendent à négliger la question du changement climatique. C'est peut-être sur ce point que les institutions et les médias devraient focaliser leurs efforts.

Il est difficile pour nous d'embrasser aveuglément cette effervescence technologique sans la promesse de services plus éthiques et bienveillants pour les artistes. Nous sommes plus enclins à explorer des modèles collaboratifs axés sur l'humain, en attendant l'émergence de solutions libres et éthiques. Nous croyons qu'une allocation budgétaire pour la protection des artistes, des rémunérations équitables, dans un contexte plus sobre, serait une réponse plus adéquate aux besoins du secteur culturel que la simple adoption de nouvelles technologies qui entraînent une hausse de la consommation énergétique et de l'utilisation de dispositifs électroniques.

Les logiciels libres pour les musicien·nes

Nous avons beaucoup abordé des logiciels pour un usage quotidien, mais nous n'avons pas évoqué les logiciels spécifiques au secteur musical. Pour avoir plus de liberté pour la création, et notamment pour orienter les logiciels vers plus de sobriété, le modèle du logiciel libre pourrait être une solution étant donné le manque d'intérêt pour le développement de solutions moins énergivores par les entreprises du secteur. Les logiciels de création musicale suivent les mêmes schémas que les autres secteurs. Le modèle économique repose sur un renouvellement de licences ou un modèle d'abonnements qui poussent les créateurs de logiciels à proposer des innovations pas forcément utiles au plus grand nombre. Il s'agit davantage de créer des incompatibilités entre les versions pour forcer le renouvellement de licences. Le fonctionnement via le cloud, de plus en plus répandu dans les logiciels commerciaux, ne semble pas permettre un gain de sobriété. À cela s'ajoute la collecte de données, centrale dans ce type de système.

Plutôt que de créer de la dépendance à des entreprises, nous avons voulu explorer des manières de produire plus collaboratives grâce à l'utilisation de logiciels libres. Ces solutions restent encore marginales, bien que certaines soient déjà populaires auprès des passionnés.

Nous souhaitons créer un espace de discussion autour de cette opportunité et établir des liens entre les développeurs de logiciels libres et les artistes.

Souvent par manque de moyens ou du fait qu'il existe une multitude d'outils spécifiques, les logiciels libres sont moins complexes que leurs équivalents commerciaux. Mais les logiciels libres permettent de travailler sur des ordinateurs plus anciens. Les formats de fichiers ouverts s'opposent au modèle des logiciels propriétaires et évitent le besoin de mises à jour constantes et de renouvellement des licences. Certains de ces logiciels fonctionnent sur tous les systèmes d'exploitation (Windows, macOS, GNU/Linux) ce qui peut permettre de les tester avant de passer sous GNU/Linux. Comme nous l'avons mentionné dans la section concernant le système d'exploitation, un passage à GNU/Linux augmente la durée de vie des appareils, et cet OS moins gourmand en ressources propose une solution plus sobre.

Parmi la variété évoquée des versions (distributions) de GNU/Linux, il en existe deux spécifiques aux artistes : Ubuntu Studio et Librazik. Ces distributions sont préinstallées avec de nombreux logiciels dédiés à la musique et à la création multimédia. Il s'agit d'une bonne opportunité de découvrir les nombreuses possibilités des logiciels libres pour les artistes, d'autant qu'il est tout à fait possible de les tester sur un ordinateur ancien, afin de se faire la main sur ces logiciels. Lors d'entretiens informels que nous avons menés, la première raison évoquée pour passer aux logiciels libres a été la philosophie sous-tendant le mouvement du libre, suivie de la gratuité. La durabilité a été un autre des arguments positifs avancés.

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Page d'accueil d'Ubuntu

Une des particularités souvent mentionnée par les artistes utilisant les logiciels libres est la diversité de choix. Il existe une multitude de logiciels qui remplissent des fonctions spécifiques. Cette tendance évite les logiciels complexes du type "usines à gaz" nécessitant des ressources importantes. Dans le monde du libre, des logiciels simples et spécifiques remplissent des fonctions complémentaires, ce qui évite d'avoir besoin de machines puissantes (donc nouvelles). Ceci limite aussi le temps d'apprentissage d'un nouveau logiciel complexe, en particulier lorsqu'on a été dépendant d'un logiciel propriétaire, qui a tendance à nous enfermer dans des routines de création. Bien sûr, il existe aussi des logiciels libres polyvalents comme Audacity/Tenacity (éditeur audio) ou des stations audio-numérique comme Ardour, LMMS et Zrythm. Ces logiciels offrent de nombreuses options, mais demandent un temps d'apprentissage plus long. C'est le cas avec n'importe quel logiciel, libre ou non. La diversité et la facilité à tester une multitude de logiciels sur GNU/Linux devraient attiser la curiosité de nombreux artistes.

Florilège de logiciels :

Ceci n'est pas une liste exhaustive. Pour ces besoins, il y a des communautés et des sites web pour aider à l'apprentissage et répondre aux questions. On peut citer LinuxMAO et son forum, des forums anglo-saxons, la communauté Dogmazic, des guides tels que les Floss Manuals, des wikis, des flux d'informations, et même une école comme l'Activdesign. D'autres sites listent les logiciels libres pour la musique, comme Libre Audio Visual ou Linux Daw. Le studio d'enregistrement numérique du Jardin Moderne à Rennes est équipé uniquement de logiciels libres, idéal pour apprendre en pratiquant.

La transition peut présenter des défis : la prise en main nécessite du temps tandis que des problèmes de compatibilité avec le matériel peuvent survenir. En conséquence, il est bon de se renseigner et de tester. Il est tout à fait possible de commencer avec une carte son à une centaine d'euros et des logiciels libres sur GNU/Linux. À long terme, cela peut être économique (pas de coût de licence et durabilité du matériel). Adopter des logiciels libres vise à construire un commun pour tous, pour améliorer les logiciels avec le temps et les rendre durables à moindre coût. C'est une démarche éthique147. Il est toutefois conseillé de soutenir les communautés qui développent ces logiciels, que ce soit en participant au développement, à la promotion, à l'éducation ou par des dons. Si un outil libre adapté à vos besoins n'existe pas encore, peut-être qu'il sera développé à l'avenir ou que vos retours sur un logiciel existant pourront aider.

Et dans d'autres secteurs ?
Dans le graphisme, l'illustration, l'animation et les jeux vidéo, l'utilisation de logiciels libres est de plus en plus répandue. Le fait que les utilisateur·rices puissent participer au développement des logiciels a permis de mieux les adapter aux besoins, d'éviter des fonctionnalités inutiles, voire néfastes pour les usager·es (collecte de données, utilisation de DRM, changement de politique tarifaire). Blender est par exemple devenu un logiciel d'animation 3D de plus en plus utilisé par les professionnel·les, y compris par les studios majeurs comme pour le film Le Peuple Loup148 produit par Cartoon Saloon.

Comment développer les logiciels libres dans le secteur musical ?

Les logiciels et les licences libres s'inscrivent dans une logique de partage et de rémunération différentes. On peut le constater avec les Netlabels qui diffusent la musique librement et organisent des commandes groupées. Ils sont souvent plus militants que leurs équivalents historiques. Les studios et leurs artistes pourraient également être des vecteurs de création de communs numériques destinés au secteur de la musique. Des exemples existent, comme la coopérative d'artistes libres AMMD qui produit avec des matériels et des logiciels libres. La création de communs semble nécessaire pour s'opposer aux monopoles, qui, dans le numérique, semblent toujours se former au détriment des utilisateur·rices149. Reprendre le contrôle des outils et de la diffusion est essentiel pour que les artistes retrouvent leur liberté de création. Aujourd'hui, de nombreux établissements éducatifs, y compris l'éducation nationale, privilégient des logiciels propriétaires, favorisant ainsi leur diffusion et adoption. L'éducation devrait être une période d'émancipation des contraintes commerciales, offrant une formation basée sur des outils durables et conviviaux. Les médiathèques pourraient également jouer un rôle majeur dans la promotion des logiciels et musiques libres, en accord avec leur mission d'accès à la culture. Le projet Ziklibrenbib va dans ce sens. Idéalement, ces acteurs devraient adopter des valeurs éthiques alignées sur cette approche de production et de diffusion, garantissant une répartition équitable des revenus, tout en utilisant les ressources de manière raisonnée.

Rémunération, plateformes de streaming et billetteries

La rémunération directe qui réduit les intermédiaires, la participation libre et le don semblent être des modèles de rémunération beaucoup plus simples à mettre en place techniquement et humainement. Ces systèmes présentent l'avantage d'être plus sobres, car moins complexes par comparaison avec les nouvelles technologies comme les NFT150. En outre, la sobriété impose que l'on consomme de l'énergie pour des besoins utiles et les NFT ne semblent pas entrer dans cette catégorie.

Les plateformes de streaming sont de plus en plus utilisées comme des réseaux sociaux. Leurs modèles économiques cherchent également à créer des monopoles qui ne permettent pas une juste répartition des revenus 151. Les plateformes suivent le modèle de l'économie de l'attention au détriment de la sobriété énergétique. Comme pour tous les projets commerciaux, la communauté (artistes et utilisateurs) manque de contrôle sur les outils. Les systèmes de rémunération sont bien le premier problème de ces plateformes. La course pour prendre des parts de marché se fait au détriment de la rémunération des artistes152. Ces plateformes présentent le même problème pour la vie privée que les réseaux sociaux grand public. Spotify et Youtube ont d'ailleurs été déjà condamnés pour des manquements au respect du RGPD (règlement général pour la protection de la vie privée)153. Le modèle des plateformes de streaming favorise les artistes déjà connus et soutenus par les Majors sans remettre en question le modèle de la distribution de la musique et des rémunérations. Il reste aussi le risque de rachat qui sera probablement la finalité du marché du streaming. Apple (avec Apple Music) et Google/Alphabet (avec Youtube Music) possèdent des finances nettement plus importantes que des entreprises focalisées sur le streaming musical. Le risque de rachat est donc très important. Ce phénomène a déjà été observé avec les réseaux sociaux : Facebook a racheté Instagram puis WhatsApp devenant un monopole dans nos échanges quotidiens en Occident.

Des effets sur la musique même se font sentir, notamment par une réduction des durées des chansons et une uniformisation des styles musicaux. Tout comme pour les réseaux sociaux, une alternative offrant davantage de contrôle aux usagers garantirait une meilleure gestion de la diffusion et des revenus pour les artistes. Le Fediverse propose ses alternatives avec Funkwhale et Peertube (clips vidéo), mais les deux solutions restent très marginales. Elles ont le mérite d'exister et d'éviter une partie des effets néfastes des solutions commerciales. Certains acteurs plus importants, comme Bandcamp, proposent un modèle plus juste, mais la structure même de l'entreprise ne garantit pas la pérennité du modèle. Récemment, des changements dans l'organisation du personnel ont montré sa fragilité154.

En ce qui concerne la vente de billets, une plateforme comme Ticketmaster est devenue indéfendable à cause de son modèle préjudiciable pour le monde du spectacle et pour les fans155. Bien qu'il existe des outils alternatifs en auto-hébergement pour vendre des tickets, ils sont techniquement plus difficiles à mettre en place. Certes, des associations et services sont là pour faciliter la tâche, mais ils ne jouissent pas de la notoriété de Ticketmaster, laissant l'effet de masse comme un obstacle majeur.

Face à ce manque d'alternatives et de contrôle, il est pertinent pour les artistes de soutenir les options libres pour assurer un futur où ils auront davantage de maîtrise, surtout quand leurs revenus sont en jeu. Ils peuvent très bien combiner un service commercial et un service libre, favorisant progressivement la croissance du second. Ces alternatives, souvent financées par des dons, sont interconnectées, offrant un fort potentiel d'interopérabilité.

La mutualisation est également une voie à explorer. Les artistes peuvent mettre en commun leurs ressources, formant des collectifs pour, par exemple, gérer une instance Peertube, réduisant ainsi les coûts. Des coopérations entre artistes et acteurs du numérique sont envisageables, avec les studios comme potentiels instigateurs. Plusieurs modèles basés sur des résidences d'artistes, des associations ou des coopératives peuvent être adaptés aux besoins d'émancipation du secteur. Nous pensons qu'une mutualisation d'un espace web pourrait élargir la liberté des artistes. Certes, des associations comme la GAM existent, mais elles ne fournissent pas d'outils pour créer des communs.

Dans la même optique, la mise en vente pourrait se faire via des outils développés collectivement pour conserver le contrôle et renforcer le pouvoir de communication. Des modèles de rémunération alternatifs, comme le prix libre ou le don, pourraient compléter les revenus. L'essentiel est la diffusion de la musique et la majorité des revenus des artistes provient des concerts. Il est donc primordial pour eux d'accroître leur notoriété, sans les barrières des plateformes ou des coûts. Les logiciels et licences libres apparaissent comme des solutions idéales. En fin de compte, créer des communs est plus réaliste que de remettre en question les acteurs dominants, et cela pourrait rendre l'industrie plus économe en énergie.

Conclusion

Nous sommes à un moment charnière pour le secteur musical et pour la culture en général. Les acteurs du numérique risquent de monopoliser les outils de création et de diffusion, instaurant des monopoles de plus en plus difficiles à démanteler. La numérisation a déjà bouleversé le secteur culturel, modifiant les moyens de rémunération et de distribution. Avec l'émergence de technologies comme l'IA, un nouveau bouleversement se profile. Il est donc urgent que le secteur reprenne la main sur ses outils de création pour garantir sa liberté artistique et son autonomie financière. De plus, cela permettrait de développer des outils numériques plus sobres. En effet, les nouvelles technologies évoluent actuellement dans un contexte de libre-échange et de croissance sans fin, une trajectoire incompatible avec la sobriété nécessaire pour faire face à la crise socio-environnementale.

Bien que ce guide présente de nombreuses solutions technologiques, beaucoup relèvent d'initiatives individuelles. C'est pourquoi nous mettons l'accent sur des partenaires capables de vous aider à approfondir ces démarches. L'idée est de favoriser des synergies, car un changement individuel, bien que pertinent, se heurte souvent à des obstacles techniques et son impact est limité. Plus que tout, nous reconnaissons le besoin d'une transformation collective. Une collaboration entre artistes et acteurs d'un numérique plus humain serait bien plus impactante. Il est essentiel de créer ensemble pour réaliser un numérique éthique. Nous ne pouvons pas compter sur la transformation des entreprises traditionnelles, dont les actions ont montré que la transition n'était pas leur priorité. Leur approche, même si elle est "verdie" en surface, reste insuffisante pour répondre aux défis socio-environnementaux actuels.

Contrôler nos outils de production et de communication renforcerait également notre poids politique, permettant une régulation plus favorable aux artistes et aux utilisateurs, loin de l'influence des lobbies. La seule approche efficace est collective, les actions individuelles ne suffiront pas. L'essentiel est de collaborer avec les acteurs d'un numérique sobre, éthique et convivial, c'est l'enseignement principal de ce guide. Les artistes peuvent renforcer ces initiatives, et ces collectifs peuvent aider les artistes à naviguer dans le monde numérique. Ce guide est avant tout un plaidoyer pour une collaboration visant à reprendre le contrôle de notre environnement numérique.

Partie 3 : prospective

Au-delà du constat et de l'exposition des risques actuels, nous souhaitons également, avec le projet STOMP, remettre en question l'architecture actuelle des processus d'innovation numérique, et ce afin de plaider en faveur de pratiques et d'usages équitables, durables et éthiques, prenant en compte, sur le long terme, les impacts environnementaux et sociétaux.

Essai 4 par Bela Loto Hiffler

Où en sommes-nous ?

Les impacts environnementaux du numérique suscitent de plus en plus l'intérêt des citoyens, de la presse, des pouvoirs publics, des collectivités territoriales et des entreprises. Le sujet est en plein boom. Cependant, cet engouement cache de nombreux angles morts. Parmi eux, effets sanitaires et psycho- sociaux désastreux et droits humains bafoués. Peu relevés, ils ne font définitivement pas le poids face à la digital fever.

Par ailleurs, ne soyons pas crédules, le « numérique responsable » est devenu une opportunité business parfois très juteuse. Les marchands sont définitivement rentrés dans le temple. Le numérique responsable a rejoint l'offre verte participant à la croissance de tous les secteurs de notre économie.

Mais revenons à ce que nous aimerions que ce soit. Une démarche numérique plus responsable ne devrait pas se limiter à réduire les « externalités négatives ». Tout ce que l'on pense être « problèmes » ne sont que des symptômes et il est bien vain de vouloir les soulager si l'on de s'attaque pas à la racine du mal qui nous ronge. Hélas, la dimension systémique n'est généralement pas comprise et nous continuons à passer à côté de l'essentiel.

Il n'est donc pas étonnant que, sauf exception, seul l'indicateur « climat » exprimé à travers les émissions de gaz à effet de serre soit mis en avant, à quelques exceptions près. Or, cela empêche toute bonne compréhension du sujet. Pour appréhender la question environnementale, il est en effet fondamental de considérer le cycle de vie complet et de tenir compte de tous les indicateurs : épuisement des ressources abiotiques (non renouvelables minérales et métaux, fossiles), dérèglement climatique, énergie primaire, acidification de l'air, émissions de particules fines, radiations ionisantes, épuisement de la ressource en eau, toxicité humaine, écotoxicité aquatique, etc.

Une démarche vertueuse devrait aussi anticiper les effets rebonds, directs et indirects représentant autant de pièges qui se referment sous nos pieds. Par ailleurs, il serait urgent d'intégrer dans toute analyse des indicateurs sociaux et humains et revoir en profondeur la relation intenable que nous entretenons avec l'électronique. Le Green IT, formidable oxymore, est aux abonné·es absent·es pendant que le Red IT156 règne en maître : violent, colonialiste, sanglant, mortifère. Par ailleurs, n'est-il pas remarquable et particulièrement préoccupant que les réseaux sociaux ne soient pas répertoriés par l'OMS comme sources de comportements addictifs ? Les seules concernées étant les addictions aux jeux vidéo et aux jeux d'argent.

Jusqu'ici, de nombreuses analyses du cycle de vie ont contribué à éclaircir le paysage et donné les grandes tendances. Peu à peu, les questions sectorielles ont émergé, notamment dans la musique et l'audio-numérique. Des études ont permis d'obtenir des informations déterminantes mais nous rencontrons de multiples incertitudes. Comme l'indique Vincent Lostanlen157 « Pour sa plus grande part, la comptabilité écologique de la musique reste à inventer ».

Insistons sur une simple évidence : il n'y a pas de services numériques sans terminaux, ni infrastructure lourde. La matérialité est au centre de la question écologique. La soutenabilité de la filière audio- numérique est bien fragile lorsqu'on considère le streaming, représentant l'essentiel de la distribution musicale, et qui pousse à la consommation : services eux-mêmes, acquisition des terminaux et des équipements qui vont avec comme les écouteurs, casques, haut-parleurs, etc. Rappelons que la majorité des impacts environnementaux (2/3 à 3/4) a lieu lors des étapes extraction et fabrication. Bref, pour écouter, il faut du lourd. Du lourd rapidement obsolète. Le consumérisme est ici, plus que jamais, au centre de l'affaire.

Signaux faibles ?

Je me propose ici de prendre trois exemples, le premier, historique, et les deux suivants plus récents, qui me semblent être le reflet d'un appauvrissement artistique et le signe d'une grande fébrilité de notre société : la compression MP3, la sped up music et l'intelligence artificielle.

La norme de compression audio MP3

Au tout début des années 2000 était adoptée la norme audio MP3 (acronyme du MPEG audio layer 3), compression avec perte de données (ou destructive, lossy). En étudiant la question il y a plus de vingt ans, j'ai pu partager avec mes lecteurs158 le fait qu'avec cette compression, une grande partie du signal passait à la trappe : les fréquences les plus graves et les plus aigües étant littéralement sacrifiées. En ne gardant que le signal susceptible d'être reçu par l'auditeur ou l'auditrice, le lissage opéré efface tous les reliefs (ce qui d'ailleurs a poussé les usagers à augmenter le volume pour compenser, ce qui n'est pas sans conséquences physiologiques). Certes, il existe plusieurs taux de compression MP3 allant de 96 à 320 kbps159 mais la majorité d'entre nous a pratiqué le 128 kbps (la plupart du temps sans le savoir) où le son est vraiment dégradé. En comparaison, le MP3 128 kbps équivaut à 1/10 du signal d'un CD (1 411 kbps).

À l'époque, la pilule a sans doute été difficile à avaler par le musicien exigeant, le mélomane averti et tout ingénieur du son qui se respecte. À titre personnel, j'ai vraiment eu le sentiment d'assister à un retour en arrière et j'irais même jusqu'à parler de traumatisme auditif dans les premiers temps. Sans rentrer davantage dans des considérations plus techniques, ce choix techno-économique a été très clair : la quantité a été préférée au détriment de la qualité. En minimisant le poids des données, le but n'était évidemment pas d'être économe écologiquement mais de favoriser une consommation massive de données musicales. Victoire décisive du capitalisme culturel.

La sped up music

La sped up music consiste à écouter la musique en version accélérée en augmentant le tempo. Cette technique a trouvé son origine sur TikTok, le réseau chinois dédié au partage de très courtes vidéos.

Si l'on accélère le tempo, la fréquence change. On obtient donc des voix plus aigües. Sauf si l'on utilise un procédé, le time stretching, qui permet de préserver la fréquence. Les voix supportent mal les manipulations hasardeuses. Les voix accélérées sont comparables à l'effet hélium et perdent ce qu'elles ont d'unique. Ici dans notre exemple, non seulement les auditeurs manipulent et déforment l'œuvre mais ils s'attaquent à l'intégrité de l'artiste en tant que personne en dégradant sa voix. Qu'on se rassure, un interprète peut sans problème faire le choix de jouer une œuvre musicale plus lentement ou plus rapidement. Jouer sur le tempo dans le cadre d'une interprétation est en effet un choix éminemment artistique et nombreux sont les exemples dans des répertoires très variés. Et ce, depuis toujours. Mais manipuler une œuvre produite et la diffuser est tout à fait autre chose. C'est une atteinte au droit (auteur, producteur) caractérisée, à moins d'avoir obtenu expressément l'autorisation. On peut imaginer l'urgence d'une nouvelle législation.

À l'inverse, pour répondre à la demande des fans, certains artistes ont sorti des versions accélérées de leurs titres. Ou comment donner une deuxième vie marchande à un produit. C'est le cas, entre autres du titre Me gustas tu de Manu Chao, où la version sped up a été reprise par le label.

D'un point de vue physiologique, l'accélération stimule le cerveau et provoque une certaine euphorie, et elle s'ajoute à la dopamine générée par une chanson quand celle-ci nous plait (frénésie, effet psychédélique). Mais cette sur-stimulation répétée peut entraîner une réduction de la durée d'attention et des difficultés de concentration.

Les remix de l'époque me semblaient plus créatifs (certains en tout cas) car ils mêlaient différents apports par mixage d'éléments sonores. Les versions sped up, par définition, ne jouent que sur la vitesse. Exit la lenteur, exit le silence. Et pourtant, ce dernier fait paradoxalement partie de la musique. Il faut savoir « le jouer ».

En conclusion sur ce point, la musique accélérée est le symptôme d'une société boulimique qui n'a jamais le temps. C'est une parfaite illustration de l'accélération générale (formidablement développée par Hartmut Rosa160). Cette tendance qui consiste à consommer du contenu plus rapidement (speed listening et speed watching) me fait penser à la restauration rapide. Une vague Tricatel (je fais ici référence à la mal-bouffe du film l'Aile ou la cuisse et non au label du même nom) tout droit venue de TikTok n'est pas, de mon point de vue, la meilleure des nouvelles.

Le troisième et dernier exemple est celui de l'intelligence artificielle. Je me suis prêtée au jeu en allant regarder de près certains outils audio à base d'IA tels que des traitements du type de-noiser (réduction du bruit), de-wind (suppression des bruits de vent), speech enhancement (améliorateur vocal), de-rustle (suppression des frottements, micro-cravate, etc.). Jusqu'ici, tout va bien. Ces traitements sont très efficaces. Mais prudence, ils peuvent être assez brutaux et il est nécessaire d'avoir une très bonne oreille pour trancher.

D'autres modules sont présentés comme de-mixer, c'est à dire qu'ils se proposent de séparer la voix de l'instrumentation. À ce jour, ce que j'ai entendu n'est pas convaincant. La qualité du signal n'est pas au rendez-vous.

Last but not least, j'ai testé quelques outils utilisant l'IA pour générer des morceaux de musique à partir de consignes textuelles. J'ai rarement autant ri de ma vie. Les résultats étaient affligeants. Un vrai gloubi- bulga à la métrique hasardeuse. Musiciens, musiciennes, créateurs et créatrices, faites votre métier, vous avez encore un peu de marge, mais il y a définitivement le feu au lac !

En attendant, je partage totalement ce qu'exprime Karl Sharo : « Humans doing the hard jobs on minimum wage while robots wrote poetry and paint is not the future I wanted » que je déclinerais volontiers en disant : « Des humains qui assemblent nos smartphones et autres appareils numériques dans des conditions épouvantables à des salaires indécents pendant que les robots Audiogen, Mubert ou MusicGen composent de la musique, ce n'est pas l'avenir que j'envisageais ».

Finalement, où voulons-nous aller ?

Nous pouvons toujours essayer de réduire notre pression sur l'environnement et diminuer les externalités négatives en allongeant la durée de vie de nos machines et en adoptant de meilleures pratiques au quotidien. Mais le plus important est de savoir où nous voulons aller et quel est le sens de tout cela. Et c'est bien ici, que ce soit dans le secteur audio-numérique ou ailleurs, que la question de la croissance se pose. Croire à une croissance infinie du capital dans un monde où les ressources sont limitées relève de la folie collective. L'essentiel est ailleurs. La priorité des priorités n'est pas celle que l'on nous sert matin, midi et soir, en invitant dans les médias toujours les mêmes experts en décarbonation, à croire qu'il n'y ait aucuns philosophes, aucuns artistes intéressés par le vivant ! Ce n'est évidemment pas le cas. Ce sont les philosophes, les artistes et les poètes que nous voudrions entendre davantage.

Comme le dit Camille Etienne : « On ne peut pas laisser les ingénieurs débattre entre eux seulement de comment réduire nos émissions de gaz à effet de serre »161. Et pour Aurélien Barrau162 « Il est urgent d'inventer un autre rapport au vivant, plutôt que de diminuer les émissions de CO2 de nos téléphones portables ».

Les artistes, les musiciens et musiciennes ont un rôle crucial à jouer pour interroger à leur façon ce monde en crise. Ils·elles ne sont pas seulement des produits à consommer. De grâce, ne réduisons pas la musique au seul canal numérique. Le concert est un moment de communion unique et magique. Cependant, pour être écologiquement soutenable, le modèle « spectaculaire » va devoir se ré-inventer, se simplifier radicalement. Le temps n'est plus aux orgies technologiques, aux 90 semi-remorques163, au gigantisme. Souvenons-nous, le puits n'est pas sans fond. Les ressources métalliques dont nous avons besoin pour fabriquer nos machines ne sont pas illimitées, elles sont même critiques pour bon nombre d'entre elles. Le futur, si nous voulons être vivants pour y participer, ressemblera plutôt à un paysage lowtech. L'avenir se jouera-t-il sans électricité comme l'appelle de ses vœux le musicien Bass Tong à travers sa techlow music164 ? assisterons-nous au grand retour de la musique acoustique en petit comité ?

Préférons le vivant aux machines de guerres. Il est grand temps d'y réfléchir sérieusement et d'agir concrètement.

Musiciens et musiciennes de tous les pays, réveillez-vous !

Bela Loto Hiffler est présidente de Point de M.I.R, Maison de l'Informatique plus Responsable, dont l'objet est de sensibiliser depuis de nombreuses années le grand public aux impacts environnementaux et humains du numérique. Bela Loto Hiffler est également associée de M.I.R C & F, où elle délivre des formations (numérique plus responsable, conception responsable de services numériques, accessibilité, droits humains) et dispense des sessions dans le cadre du label Numérique Responsable.

Ex-compositrice-arrangeuse et ingénieure du son, elle s'est intéressée au web du point de vue des technologies audio émergentes (Le son sur le web, Dunod, 2002), elle est également l'auteure du Guide d'un numérique plus responsable (Ademe, 2020) et est en préparation d'un nouvel ouvrage.

Bela Loto Hiffler participe à de nombreux groupes de travail et porte un discours engagé lors de conférences, tables rondes et autres évènements. Elle entend ainsi défendre un numérique « bien tempéré », respectueux des droits humains et se présente volontiers comme « observatrice de l'ébriété numérique ».

Et maintenant, comment s'y prendre ?

Nous l'avons vu tout au long des pages de cette contribution, la remise en cause des usages numériques actuels, en lien avec la nécessaire transition écologique des systèmes humains, touche le secteur de la musique de manière profonde, systémique. II s'agit, à ce stade tout à fait naissant du sujet dans la communauté professionnelle, et considérant les initiatives actuelles touchant une part encore trop restreinte des forces en présence, de faire naître un large dialogue sur ces questions. Ainsi que le déclarent Maxime Efoui-Hess et l'équipe du Shift Project165, « une grande partie de l'opinion publique et des classes économique et politique considère encore que les usages numériques ne nécessitent pas d'être soumis à la même vigilance que les autres secteurs en ce qui concerne leur compatibilité avec les impératifs énergétiques et climatiques ». Ce constat explique en partie pourquoi peu de solutions concrètes semblent poindre, et ne rend que plus pressant le besoin d'ouvrir largement cette conversation. Cette discussion que nous appelons de nos vœux doit contribuer à produire de la connaissance, et à sensibiliser largement l'écosystème musical de manière démocratique.

L'écosystème musical a besoin de formation, de soutien, et, de manière générale, de données. I faut également plus de transparence et de recherche en ce qui concerne l'impact de l'écosystème en général. Cela ne concerne pas seulement les artistes, mais l'ensemble des parties prenantes, artistes compris. » Karla Rogozar, coordinatrice du développement du réseau, de la durabilité et des projets chez Impala

Par la concertation, le débat contradictoire et la multiplication d'initiatives et projets d'ingénierie, il est temps de faire émerger des solutions, méthodes et procédés pour réduire l'impact de nos usages numériques musicaux. Il est essentiel que l'écosystème musical tout entier s'empare de ces questions de manière concertée, démocratique, et ne les laisse pas entre les seules mains des fournisseurs de services numériques, de stockage et de solutions de streaming.

S'il y a beaucoup plus de bruit et d'activité autour de ce domaine, alors peut-être que ces grandes entreprises se sentiront plus obligées de faire quelque chose à ce sujet » Peter Quicke, ancien co-directeur général et aujourd'hui président de Ninja Tune, co-fondateur de Music Declares Emergency, co-fondateur de Climate Action Group, membre du comité de développement durable d'Impala.

La question des usages numériques musicaux est technique, certes, mais elle est avant tout le produit de choix économiques et politiques qu'il s'agit de confronter, comme le rappelle Vincent Lostanlen à l'endroit du streaming, qui « suppose un certain consumérisme de haute technologie, ainsi qu'un certain imaginaire politique et urbanistique appelé "productivisme des flux" », à très court terme incompatible avec les accords de Paris. Nous nous inscrivons ici dans les conclusions des travaux de greenIT166 et de Négaoctet167, des recommandations de l'INR précisées dans sa charte du numérique responsable168 et dans ceux du Shift Project, qui leur sont postérieurs, en matière de planification de la décarbonation et de la réduction des impacts environnementaux du système numérique :

  • Il nous faut pouvoir mesurer l'impact des activités numériques musicales : sans ce travail sincère et transparent de mesure par les acteurs de la chaîne de valeur, aucune prise de décision démocratique ne peut advenir. Il s'agit bien entendu d'un travail qui doit être mené par les principaux pourvoyeurs et gestionnaires du trafic numérique que sont les DSP, mais de manière plus générale par l'ensemble des acteurs, qu'il s'agisse des maisons de disques, des labels, des distributeurs, des éditeurs, mais aussi des sociétés de perception et de répartition de droits, de promotion et de marketing, et des artistes bien entendu, ainsi que des syndicats et organisations professionnelles.

  • Ce travail doit conduire à une optimisation des usages et services numériques du secteur musical et doit permettre de changer les pratiques des professionnel·les dans leur ensemble, artistes et grand public compris. Il s'agit de provoquer une transformation profonde des usages et des systèmes, par le biais entre autres du développement d'une « low-tech numérique169» à rebours de la course à l'innovation technologique si répandue, et d'une « éco-conception radicale des services numériques170 ». Sans cette réorganisation collective des usages que les DSP et les artistes ont, ensemble, le pouvoir de rendre techniquement possible et socialement désirables, la décarbonation et la réduction des impacts environnementaux des usages musicaux ne peut advenir. Les organisations professionnelles tiendront un rôle déterminant dans la tenue effective de ces discussions.

  • Comme dans tous les autres secteurs de l'économie, le travail à mener et la mise en œuvre effective des feuilles de route, nécessitent une montée en compétence généralisée de toutes les parties-prenantes, et des équipes qui les composent par le biais de vastes campagnes de sensibilisation et de formation. Dans cette perspective, les artistes devront être associé·es aux travaux avec une approche toute particulière :

Un effort en termes de pédagogie, très centrée sur l'artiste, qui lui tiendrait un peu la main tout au long du processus, je pense que ce serait la voie à suivre. » Anna Dungal, équipe événementielle pour Iceland Airwaves et Sena Live, fondatrice d'OK Agency

Nous proposons à titre de synthèse ces quelques préconisations et propositions qui ont émergé des mois de recherches menées pour ce projet :

Actions à mener à l'échelle sectorielle

  • Engager une large concertation sectorielle et politiser le sujet des usages numériques dans la musique et de la réduction de leurs impacts

  • Obtenir des Digital Service Providers (DSP) qu'ils communiquent les données de consommation énergétique et d'impact environnemental de leurs infrastructures

  • Inciter les Digital Service Providers (DSP) à développer davantage de fonctionnalités en matière d'économies de données

  • Lancer une étude de faisabilité sur la mutualisation du stockage des fichiers audios tels que les masters pour en limiter la démultiplication sur les serveurs de toutes les sociétés de streaming

  • Engager une démarche de communication sectorielle à destination des utilisateur·rices pour sortir du seul rapport artiste/fan sur ces sujets 

  • Créer un score de notation des services numériques pour offrir aux utilisateur·rices un repère sur les pratiques d'économie d'énergie des services numériques

Actions à mener au niveau de l'entourage professionnel des artistes

  • Se former et mener sa propre veille pour pouvoir aider les artistes à prendre ce sujet en considération dans la gestion de leur carrière au travers de leurs choix d'équipements, de leurs stratégies marketing

  • Porter ce sujet au sein de ses institutions représentatives (syndicats, fédérations)

  • Porter ce sujet au sein des directions de labels, maisons de disques, éditeurs, distributeurs, pour engager sa structure dans les projets en cours

Actions à mener à l'échelle des musicien·nes et de leurs groupes

Contribuer à la politisation du sujet à l'égard de leurs parties prenantes professionnelles

  • S'engager dans les mouvements de transition écologique du spectacle pour en grossir les rangs et y prendre la parole

  • Encourager son public à télécharger sa musique plutôt que la streamer

  • Proposer davantage d'expériences « déconnectées » au public, comme à l'occasion des concerts sans téléphone

  • Acheter du matériel de bonne qualité, en prendre soin, apprendre à le réparer

  • Utiliser du matériel d'occasion plutôt que du neuf, louer lorsque l'usage n'est pas encore certain

  • Résister au Gear Acquisition Syndrom (GAS) (syndrome d'acquisition de matériel), un phénomène qui pousse un·e musicien·ne à acheter de manière compulsive du matériel

Les acteurs de l'industrie de la musique européens, en ne s'emparant pas du sujet dès à présent, prennent un risque : celui de laisser le marché et les acteurs privés extra-européens, principalement de la Silicon Valley, réguler la question selon leur propre cadre économique et déontologique, avec les conséquences que l'on peut imaginer. Un risque encore plus grand serait d'aborder ces questions avec une approche techno-solutionniste, à l'image du projet DIMPACT notamment, et de penser qu'une simple amélioration des formats, des systèmes et des modes d'approvisionnement énergétiques résoudrait la question du numérique musical. C'est malheureusement l'approche adoptée par la majorité des acteurs actuellement.

À l'occasion des Grammy Awards et de divers évènements organisés par son groupe autour de la cérémonie, Lucian Grainge, Chairman et CEO d'Universal Music Group, a remis à Bille Eilish le premier Universal Music Group X REVERB amplifier award171, qui récompense désormais l'artiste s'étant le mieux illustré·e dans des mesures concrètes de réduction d'impact de ses activités musicales, notamment au travers de l'engagement de ses fans. La major en a profité pour communiquer sur ses différentes actions : la mise en place de repas 100 % végétariens, des dons à une association caritative, et le soutien à une initiative assez déroutante : une start-up qui déploie une technique de capture du CO2 dans l'air pour le remettre dans les profondeurs de la Terre. Le communiqué d'Universal s'engage ainsi à « éliminer 100 % du CO2 généré par l'énergie consommée par les événements ». L'idée semblerait merveilleuse, si elle n'était pas cruellement contredite par la réalité : nous n'avons tout simplement pas assez de sol disponible pour envisager de compenser les modes de vie actuels par la plantation d'arbres ou l'enfouissement de carbone capturé dans l'air. Sans même parler des risques inhérents à ces technologies non éprouvées de capture et d'enfouissement, dont le recul ne permet pas d'affirmer scientifiquement l'efficacité et la sûreté, et dont il semble qu'elles fassent surtout le beurre des sociétés gazières et pétrolifères pour maintenir leur business as usual172. L'exemple de la compensation carbone doit ici servir d'exemple : l'idée confortable que l'on puisse racheter à la nature l'impact de son activité économique en plantant seulement des arbres est aussi belle qu'inefficace173. Le risque, enfin, à ne pas s'emparer du sujet serait que d'autres le fassent à la place de l'écosystème musical. Les instances de régulation, dont l'Arcom par exemple, viennent de donner un bon signal, en demandant officiellement aux plateformes de streaming de communiquer auprès de leurs abonné·es sur les manières d'utiliser plus sobrement leurs services, et de développer des fonctionnalités dans le même sens174.

Lorsque vous avez des gouvernements qui se sont engagés à atteindre des objectifs de neutralité carbone, (...) à un moment donné, ces entités, si elles ne voient pas la transition volontaire qu'elles souhaitent, vont commencer à légiférer pour s'assurer qu'elle se produise. En tant qu'entreprise, vous seriez donc bien avisé de commencer à réfléchir à la date de cette législation, à sa forme et à son coût par rapport au coût que cela implique actuellement. » Lewis Jamieson, directeur de la communication et des relations avec l'industrie pour Music Declares Emergency.

Le public enfin, pourrait à terme rejeter le streaming ainsi que Kyle Devine l'explique, repris par Vincent Lostanlen : « Il se pourrait que la représentation sociale du streaming comme source de dégâts écologiques et sociaux atteigne les contenus musicaux, et in fine les pratiques musicales elles-mêmes. » Pour conclure, empruntons une dernière fois les mots de Vincent Lostanlen175

Il est temps de renoncer à l'utopie d'une musique intégralement disponible, pour tout le monde, partout, tout de suite. (...) L'abonnement au streaming n'est pas réductible à un choix de consommation individuel. En termes sociologiques, ce n'est pas un « style de vie » mais un « mode de vie » ancré dans un système de valeurs et de normes. Ainsi, les débats écologiques du streaming ne seront pas réduits par des gains d'efficacité -- tels que peuvent le laisser espérer de meilleurs algorithmes audios, par exemple. Plutôt que de chercher des solutions dans l'innovation technologique, il est plus utile de bâtir des scénarios crédibles de planification.

Nous adhérons à la ligne directrice du document de l'European Network of Cultural Centres176. Les technologies numériques soulèvent des questions aussi fondamentales que la démocratie, la solidarité et l'environnement. Il est impératif de les traiter directement dans toute leur complexité, sans les considérer comme secondaires ou optionnelles.

Quelles suites à ce projet ?

Avec STOMP, nous avons cherché à dresser un état des lieux des recherches sur le numérique responsable et des pratiques actuelles dans le secteur musical. Notre focus a été principalement européen, ciblant en priorité les musicien·nes de cette région. Au-delà de ce constat, et évitant tout solutionnisme technologique, nous avons voulu suggérer différentes voies de réflexion et d'action, pour la plupart encore méconnues, qui pourraient définir un numérique plus souhaitable et acceptable.

Mené dans le cadre d'un projet de 10 mois, ce travail requiert une exploration plus approfondie. Il est essentiel de poursuivre les recherches, notamment auprès des musicien·nes, des utilisateur·rices, et de comprendre les réalités propres à chaque territoire et contexte.

À travers la publication de ce document, The Green Room s'engage également dans une démarche de diffusion. Nous souhaitons partager ces outils, proposer un accompagnement et co-construire des ressources pour les musicien·nes. Notre objectif est de sensibiliser, informer et fournir des outils, en adéquation avec nos missions et en collaboration avec nos partenaires et les réseaux auxquels nous appartenons.

Nous tenons à mettre en avant l'importance des écoles de musique et des associations d'éducation populaire dans la transmission, l'adoption, et potentiellement la co-création de ces outils.

The Green Room envisage également de renforcer la collaboration entre les différents acteur·rices autour de ces questions hautement politiques. Nous comptons nous appuyer sur les initiatives de Music Moves Europe et MusicAire, et continuer le dialogue avec les tutelles, dont la Commission européenne.

Glossaire

ADEME : Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Énergie

ARCEP : Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse

Blockchain (chaîne de blocs) : technologie permettant de stocker et de transmettre des données de manière sécurisée et décentralisée

Capitalisme de surveillance : Exploitation des données en vue d'en tirer un profit

Cloud : Système de stockage de données à distance via internet

Data center : Lieu regroupant des serveurs de données

DRM : Digital Rights Management désigne un ensemble de techniques destinées à contrôler les conditions d'utilisation des flux audio/vidéo numériques

DSP : Un Digital Service Provider (DSP) fournit des services de musique numérique (qu'il s'agisse de streaming, de téléchargements ou des deux), via des réseaux informatiques ou téléphoniques

Effet rebond ou le « paradoxe de Jevons » : phénomène observé lorsque les économies attendues avec l'utilisation d'une technologie ou d'une ressource plus efficace ne sont pas obtenues, voire aboutissent à des sur-consommations

GES : Gaz à effet de serre, c'est-à-dire contribuant à ce phénomène.

Life-cycle analysis / ACV : Une Analyse de Cycle de Vie est l'étude multicritère des impacts environnementaux d'un produit ou d'un système

Logiciels libres : Programmes distribuables, dont le code source est accessible et modifiable par tou·tes

Logiciels propriétaires : Programmes propriétaires, non modifiables

NFT : Non-fungible token -- jeton non-fongible, désigne un fichier numérique auquel un certificat d'authenticité a été attaché

SAAS : Software as a Service, est un service basé sur le cloud où, au lieu de télécharger un logiciel, vous accédez à une application via un navigateur internet

SCPP : Société civile des producteurs phonographiques 

Serveur : Outil hébergeant et fournissant des données, qui peut être matériel, logiciel ou virtuel

SNEP : Syndicat national de l'édition phonographique

SPPF : Société Civile des Producteurs de Phonogrammes

Remerciements

Les musicien.nes qui ont répondu à notre enquête en ligne,

Toutes les personnes qui ont répondu à nos questions et sollicitations,

Et, pour leur soutien et leurs conseils avisés :

Garance Amieux, Igor Angst, Samuel Aubert de Open Mastering, Olivier Bastide « Bastoche », Margaux Demeersseman, Nicolas Faure, Floby, Florimond, Véronique Fermé, Louis Fourquemin et le réseau Norma, Gökhan, Olivier Humbert de LibraZIK, Alain Imbaud de Dogmazic, Joh, Keychange, Jean-Paul Lépine, Marie Le Sourd et le réseau On The Move, Grégoire Locqueville, Sandrine Mandevile et Nicolas Nouet de l'association le CEM, Martyna Markowska, ObaniGarage, Odysseus Libre, Pioche!, François Ribac, Corinne Sadki, SheSaidSo, Roel Vergauwen, Jean VOGUET.


  1. Voir Shift Project, Lean ICT : Pour une sobriété numérique, octobre 2018 ; GreenIT.fr, Empreinte environnementale du numérique mondiale, septembre 2019 ; Arcep, Réseaux du futur - Empreinte carbone du numérique, octobre 2019 

  2. https://cnm.fr/wp-content/uploads/2023/01/CP_CNM_Manipulation-des-streams.pdf (communiqué en français) 

  3. (soit 1 à 3 milliards d'écoutes) 

  4. https://arstechnica.com/information-technology/2023/05/spotify-ejects-thousands-of-ai-made-songs-in-purge-of-fake-streams/?comments=1&comments-page=1 (article en anglais) 

  5. https://onevoiceforeuropeanmusic.eu/wp-content/uploads/2022/04/FR-RAPPORT-GLOBAL-2.pdf 

  6. https://voicesofculture.eu/2023/04/06/culture-and-creative-sectors-and-industries-driving-green-transition-and-facing-the-energy-crisis/ 

  7. European Commission, Directorate-General for Education, Youth, Sport and Culture, Kruger, T., Mohamedaly, A., Muller, V. et al., Greening the Creative Europe Programme -- Final report, Kruger, T.(editor), Mohamedaly, A.(editor), Muller, V.(editor), Rodriguez, A.(editor), Feifs, T.(editor), Buiskool, B.(editor), Publications Office of the European Union, 2023, https://data.europa.eu/doi/10.2766/625636 

  8. https://on-the-move.org/resources/library/cultural-mobility-yearbook-2022 

  9. Rapport de prospective stratégique 2022 : garantir le couplage des transitions verte et numérique dans le nouveau contexte géopolitique. https://commission.europa.eu/strategy-and-policy/strategic-planning/strategic-foresight/2022-strategic-foresight-report_fr 

  10. Numérique : quel impact environnemental ? (2022). ADEME Infos. https://infos.ademe.fr/magazine-avril-2022/faits-et-chiffres/numerique-quel-impact-environnemental/ 

  11. Impact environnemental du numérique en 2030 et 2050 : l'ADEME et l'Arcep publient une évaluation prospective. (s. d.). ADEME Presse. https://presse.ademe.fr/2023/03/impact-environnemental-du-numerique-en-2030-et-2050-lademe-et-larcep-publient-une-evaluation-prospective.html 

  12. Numérique : quel impact environnemental ? (2022). ADEME Infos. https://infos.ademe.fr/magazine-avril-2022/faits-et-chiffres/numerique-quel-impact-environnemental/ 

  13. Pitron, G. (2021). L'enfer du numérique: voyage au bout d'un like. Les Liens qui libèrent. 

  14. France stratégie, 2020, La consommation de métaux du numérique 

  15. Empreinte environnementale du numérique en France. (2022, 19 janvier). Arcep. https://www.arcep.fr/actualites/actualites-et-communiques/detail/n/environnement-190122.html 

  16. Jenni Monet, Green colonialism : Indigenous world leaders warn over west's climate strategy, The Guardian, 23 avril 2023 https://www.theguardian.com/world/2023/apr/23/un-indigenous-peoples-forum-climate-strategy-warning 

  17. World air passenger traffic evolution, 1980-2020 -- Charts -- Data & Statistics. (s. d.). IEA. https://www.iea.org/data-and-statistics/charts/world-air-passenger-traffic-evolution-1980-2020 

  18. Edgerton, D. et Jeanmougin, C. (2013). Quoi de neuf : du rôle des techniques dans l'histoire globale. Seuil. 

  19. x171 : la croissance du poids de nos logiciels. (2020, 18 août). Green IT. https://www.greenit.fr/2020/08/18/x171-la-croissance-du-poids-de-nos-logiciels/ 

  20. noyb.eu, 23 years of illegal data transfers due to inactive DPAs and new EU-US deals and Data transfert 

  21. HOP. (15 avril 2022). La lutte contre l'obsolescence programmée dans le monde. HOP. https://www.halteobsolescence.org/la-lutte-contre-lobsolescence-programmee-dans-le-monde/ 

  22. Vie publique (27 juin 2023), Fracture numérique : l'illectronisme concerne plus de 15 % de la population en 2021,https://www.vie-publique.fr/en-bref/290057-fracture-numerique-lillectronisme-touche-plus-de-15-de-la-population 

  23. Zuboff, S. (2019). The age of surveillance capitalism: the fight for a human future at the new frontier of power (First edition). PublicAffairs. 

  24. Binaire. " NTIC : état des lieux en France et conséquences sur la santé physique. Partie 1." binaire (6 octobre 2023) https://www.lemonde.fr/blog/binaire/2023/10/06/ntic-etat-des-lieux-en-france-et-consequences-sur-la-sante-physique-partie-1/

  25. La cybersécurité des entreprises - Prévenir et guérir : quels remèdes contre les cyber virus ? (2023, 3 avril). Sénat. https://www.senat.fr/rap/r20-678/r20-678.html 

  26. Aiming to Achieve Net-Zero Emissions - Google Sustainability. https://sustainability.google/operating-sustainably/net-zero-carbon/ 

  27. A Europe fit for the digital age (19 février 2020) https://commission.europa.eu/strategy-and-policy/priorities-2019-2024/europe-fit-digital-age 

  28. France 2030 : Lancement du programme de recherche « Réseaux du futur » et de la plateforme « France 6G ». Gouvernement.fr, https://www.gouvernement.fr/france-2030-lancement-du-programme-de-recherche-reseaux-du-futur-et-de-la-plateforme-france-6g 

  29. DAW = Digital Audio Workstation 

  30. Equity & Impact report 2022, Spotify pp. 10 à 16 

  31. Universal Music Group annual Report 2022 pp. 143 à 148 

  32. Lostanlen, V. (2023) « Écologie de la musique numérique, mesurer les flux pour déverrouiller les choix » in Musique et données, de la recherche aux usages, CNM éditions, Paris, p.14 

  33. Equity and impact report 2021 », Spotify 

  34. Voir par exemple https://www.shambalafestival.org/essential-info/sustainability/impact-report-2022/, https://ajc-jazz.eu/etude-carbone/ 

  35. Lostanlen, V. (2023) op. cit., p.3 

  36. Application ou service digital créant une place de marché permettant à des tiers de faire commerce de biens et services. 

  37. (article en français) https://www.lejdd.fr/Medias/tribune-jean-michel-jarre-pour-la-creation-dun-metavers-a-la-francaise-4079365 

  38. https://digitaljazz.fr/ 

  39. http://ehess.modelisationsavoirs.fr/improtech/ 

  40. https://foundation.app/@riles 

  41. https://agoria.dev/nfts 

  42. https://nftnow.com/music/black-dave-rapper-producer-making-waves-in-nfts/ 

  43. https://www.radiofrance.fr/mouv/booba-reussit-son-pari-ses-25-000-nft-ont-ete-vendus-7086467 

  44. https://cryptoweek.fr/les-billets-nft-entrent-en-scene-en-2022-connectant-artistes-et-fans 

  45. https://www.numerama.com/tech/1395898-deux-ans-apres-lemballement-que-reste-t-il-des-nft.html 

  46. Ribac, F. (2023), pour une autre écologie musicale 1 et 2, Revue

    Audimat 

  47. https://www.cbsnews.com/news/artificial-intelligence-carbon-footprint-climate-change/ 

  48. https://www.geo.fr/environnement/eau-ia-generative-a-t-elle-fait-exploser-consommation-eau-geants-de-la-tech-openai-microsoft-google-chatgpt-216592 

  49. https://www.un.org/fr/waterforlifedecade/themes/scarcity.shtml 

  50. The Congress, (2013) réalisé par Ari Folman 

  51. https://movieweb.com/wandavision-background-actor-disney-scanned-replicas/ 

  52. https://www.cnetfrance.fr/news/cinema-comment-les-ia-sont-en-train-de-doubler-les-doubleurs-39956928.htm 

  53. https://www.theguardian.com/culture/2023/oct/01/hollywood-writers-strike-artificial-intelligence 

  54. Lostanlen, V. (2023) op. cit., p.12 à 15 

  55. Equity & Impact report 2022, Op. Cit. 

  56. Article d'Audiofanzine en ligne :https://fr.audiofanzine.com/le-pub-politique-et-societal/editorial/dossiers/l-impact-de-la-musique-numerique-sur-l-environnement.html 

  57. ibid. 

  58. https://dimpact.org/about 

  59. Lostanlen, V. (2023) op. cit., p.11 

  60. Lostanlen, V. (2023) op. cit., p.8 

  61. https://www.forbes.com/sites/jasonevangelho/2018/09/25/open-source-challenge-why-one-band-chose-linux-to-record-their-new-album/?sh=21b27c0c4439 

  62. https://ninjatune.net/sustainability 

  63. Beggars Group carbon emissions inventory report, disponible ici : https://beggars.com/group/sustainability 

  64. La video de presentation du Less Accord est visionnable ici (en anglais) : https://www.greeningofstreaming.org/post/the-less-accord-a-quick-introduction 

  65. Charte téléchargeable ici (en anglais) : https://impalamusic.org/wp-content/uploads/2021/04/IMPALA-Climate-Charter.pdf 

  66. https://www.musicclimatepact.com/ 

  67. Doffman, Z. (s. d.). Why You Shouldn't Use Google Chrome After New Privacy Disclosure. Forbes. https://www.forbes.com/sites/zakdoffman/2021/03/20/stop-using-google-chrome-on-apple-iphone-12-pro-max-ipad-and-macbook-pro/ 

  68. Pelt, M. (9 mars 2023). Google search is bad and getting worse. Here's how search is evolving in the era of AI. Business Insider Nederland. https://www.businessinsider.nl/google-search-is-bad-and-getting-worse-heres-how-search-is-evolving-in-the-era-of-ai/ 

  69. Email Client Market Share and Popularity. (s. d.). Litmus. https://www.litmus.com/email-client-market-share/ 

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  149. Doctorow, C. (13 août 2023). Enshitternet. Medium. https://doctorow.medium.com/enshitternet-c1d4252e5c6b 

  150. Howson, P. (1er avril 2021). NFTs: why digital art has such a massive carbon footprint. The Conversation. http://theconversation.com/nfts-why-digital-art-has-such-a-massive-carbon-footprint-158077 

  151. Sisario, B. (7 mai 2021). Musicians Say Streaming Doesn't Pay. Can the Industry Change? The New York Times. https://www.nytimes.com/2021/05/07/arts/music/streaming-music-payments.html 

  152. Joux, A. (s. d.). La musique,un marché low cost. https://la-rem.eu/2023/06/la-musique-un-marche-low-cost/ 

  153. Lomas, N. (13 juin 2023). Spotify fined in Sweden over GDPR data access complaint. TechCrunch. https://techcrunch.com/2023/06/13/spotify-gdpr-data-access-fine/ 

  154. Silberling, A. (16 mars 2023). Employees at Epic-owned Bandcamp form union. TechCrunch. https://techcrunch.com/2023/03/16/employees-at-epic-owned-bandcamp-form-union/ 

  155. Tickets: Last Week Tonight with John Oliver (HBO). (s. d.). https://www.youtube.com/watch?v=-\_Y7uqqEFnY 

  156. Expression que j'utilise désormais à chacune de mes interventions, inspirée de la lecture du Cobalt Red,

    Siddharth Kara, St. Martin's press, 2023 

  157. Contribution issue de l'ouvrage collectif Musique et données, CNM Editions, 2023 

  158. Le son sur le web, Bela Loto, Editions Dunod, 2002 

  159. Abréviation de Kilobits Per Second, mesure de la vitesse de transfert des données 

  160. Rendre le monde indisponible, Hartmut Rosa, La découverte, 2020

    Accélération, une critique sociale du temps, Hartmut Rosa, La découverte, 2010 

  161. Pour un soulèvement écologique : Dépasser notre impuissance collective, Camille Etienne, Seuil, 2023 

  162. Catastrophe écologique : bilan et perspective. Aurélien Barrau à l'Université de Genève, 2023 

  163. Show de Mylene Farmer, Nevermore 2023, 90 semi-remorques, contre « seulement » 70 pour Beyoncé 

  164. Avec dix tuyaux en PVC et deux tongs, Bass tong joue de la techno acoustique dans les rues 

  165. CLIMAT : L'INSOUTENABLE USAGE DE LA VIDÉO EN LIGNE : Un cas pratique pour la sobriété numérique (article en français) 

  166. https://www.greenit.fr/ 

  167. https://negaoctet.org/ 

  168. https://charter.isit-europe.org/ 

  169. EMPREINTE ENVIRONNEMENTALE DU NUMÉRIQUE MONDIAL - Version 2.0 - Septembre 2019 - GreenIT.fr 

  170. Idem. 

  171. Universal Music Groupe (2023) : "Universal Music Group expands partnership with reverb during music's biggest weekend to raise the bar for environmental sustainability for music events" 04 février 2023 

  172. Arnaud Dumas (2023) Capture carbone : les pétroliers profitent des gigantesques subventions en maintenant leur "business as usual", Novethic, 29 août 2023 

  173. Thales A. P. West et al., (2023) Action needed to make carbon offsets from forest conservation work for climate change mitigation. 381,873-877. DOI:10.1126/science.ade3535 

  174. AFP/Le Monde (2023) Les plates-formes de streaming incitées par l'Arcom à passer en mode économie, 13 septembre 2023 

  175. Lostanlen, V. (2023) op. cit., p.3 

  176. (en anglais) : European Network of Cultural Centres (2023) On digital ethics for cultural organisations